Rencontre avec Alfred Blondel

On ne présente plus Alfred Blondel. Célèbre sculpteur bruxellois, il laisse parler ses mains pour célébrer, en bronze ou en terre, la beauté féminine contemporaine. On trouve ses œuvres dans de nombreux lieux publics, sur la place Dumont ou au square Louisa par exemple. Il expose actuellement à Wavre, à la Galerie 87. Ancien du Collège Saint-Michel, il a accepté de répondre à nos questions…

Horizons : Alfred, parlez-nous de vos années au Collège.

Alfred Blondel : J’ai fait mes humanités au Collège de 1939 à 1945. C’étaient des années de guerre, des années difficiles : les occasions de distraction étaient rares. J’ai quand même fait du scoutisme, dans la deuxième troupe des Ardents de Saint-Michel. Au Collège, j’ai reçu une formation extrêmement religieuse : les titulaires étaient pour la plupart des jésuites, la messe quotidienne était obligatoire, à 8h30. Nous étions des garçons dirigés par des hommes, l’autre sexe était donc très mal venu : deux heures de retenue pour celui qu’on surprenait en rue aux côtés d’une demoiselle. Même tarif pour celui qui fumait une cigarette.

Horizons : Les lectures des élèves étaient-elles contrôlées ?.

Alfred Blondel : Oui, il fallait se conformer à l’Index des livres interdits. Les professeurs faisaient quelques rares exceptions pour les grands auteurs : de Balzac on pouvait lire Eugénie Grandet, de Flaubert Salammbô. À part cela, la plus stricte convenance morale était de rigueur : on lisait René Bazin, François Coppée… des poètes médiocres mais lisses et respectables.

Horizons : Le souvenir d’un professeur en particulier ?

Alfred Blondel : Oui, le Père Hainaut. Un homme passionné de littérature et de poésie, qui adorait Paul Claudel. Après Vatican II, il a quitté l’ordre et est devenu le curé d’une paroisse dans le Hainaut.

Horizons : Et après le Collège ?

Alfred Blondel : Après mes humanités, j’ai fait des études de droit, qui consistaient en deux années de formation préparatoire en philosophie et lettres, puis en trois années de droit pour obtenir le titre de docteur en droit. À l’époque, l’université proposait un enseignement beaucoup plus général qu’aujourd’hui : j’ai dû étudier le latin, les littératures étrangères pour obtenir un diplôme de droit ! Après cela, j’ai fait des études d’ingénieur commercial à Louvain, puis un MBA à Chicago. Enfin, de 1951 à 1953, j’ai fait mon service militaire en Allemagne, au moment où l’URSS constituait une menace sérieuse.

Horizons : Docteur en droit, ingénieur commercial… Comment devient-on sculpteur après cela ?

Alfred Blondel : On ne le devient pas. Avec tous ces diplômes en poche, j’ai pensé que j’étais un intellectuel et que je n’avais pas à m’abaisser à de basses œuvres manuelles. J’ai donc commencé une carrière dans l’industrie, tant en Wallonie qu’en Flandre. J’ai fondé une famille, j’ai eu quatre fils. Et puis, un jour, ma femme m’a offert une boîte de peinture : je suis devenu un peintre de vacances, réalisant quelques paysages sur les lieux de villégiature. J’avais un grand intérêt pour l’art de manière générale mais je n’avais jamais eu l’occasion de concrétiser cela. À l’été 1980 (j’avais alors une cinquantaine d’années), nous sommes parti en famille dans le sud de la France, en Provence. Ma femme s’était inscrite à un atelier de tissage ; je me suis donc inscrit à un atelier de peinture. À l’issue du stage, l’animateur a pris mon épouse à part et lui a dit que j’étais doué, que je devais persévérer… De retour en Belgique, je me suis immédiatement inscrit à l’académie de Boitsfort et depuis, je n’ai plus arrêté : à cinquante ans, je venais de trouver ce qui allait m’occuper le restant de ma vie.

Horizons : La peinture ?

Alfred Blondel : La peinture, mais surtout la sculpture. Pendant cinq années, jusqu’en 1986, j’ai papillonné d’académie en académie pour élargir la palette des cours que je suivais, en fonction de mes envies et des grilles horaires. J’ai découvert la sculpture à l’occasion d’autres vacances d’été : comme les cours de l’académie s’interrompaient, je me suis inscrit à un atelier de sculpture à Braine-l’Alleud et j’ai adoré cela. En 1986, mon épouse m’a proposé d’exposer dans une foire artistique ; j’y ai reçu le prix du public. Encouragé par mon entourage, j’ai donc abandonné les cours à l’académie, construit mon propre atelier, fait venir des modèles à mon domicile et commencé à exposer sur une base annuelle. J’en suis donc, sauf erreur, à ma vingt-cinquième exposition !

Horizons : Vous avez abandonné votre première profession ?

Alfred Blondel : Non, je l’ai continuée jusqu’à la retraite. J’avais à l’époque des horaires fous : 45 heures de travail à l’usine, déplacements compris, plus une quinzaine d’heures de sculpture dans mon atelier, le soir et le week-end. Mon épouse regrettait de m’avoir poussé vers une activité artistique. Elle disait qu’elle ne me voyait plus. Mes quatre fils s’accommodaient de mon absence en voyant que j’avais l’air du plus heureux des hommes.

Horizons : C’est véritablement une seconde vie qui a commencé pour vous ?

Alfred Blondel : Oui. Jusque là, j’avais très mal appliqué le précepte Gnothi seauton (« Connais-toi toi-même ») gravé sur le fronton du temple de Delphes. Après avoir voulu devenir missionnaire durant mon adolescence (à l’époque de ma confirmation, j’avais été très marqué par une lecture pieuse sur saint François Xavier), je me suis cru homme d’affaires, intellectuel… et je me suis découvert artiste. J’invite tout un chacun à ne pas laisser venir le temps de la retraite sans découvrir ses goûts, ses aptitudes réelles, l’activité qui le passionne vraiment. Ma passion, c’est la sculpture.

Horizons : La sculpture du corps féminin ?

Alfred Blondel : Oui, pendant toute ma carrière artistique, ce qui m’a véritablement séduit, c’est la beauté féminine. Il y avait bien quelques modèles masculins à l’académie, mais cela m’a moins intéressé. C’est la jeune femme de la fin du vingtième siècle et du début du vingt-et-unième siècle que je veux représenter : je veux rendre compte de son charme très particulier, saisir son énergie. La femme d’aujourd’hui est beaucoup plus sportive, beaucoup plus diététique. C’est un type de beauté très différent de celui que l’on voit dans les œuvres d’art d’il y a un siècle.

Horizons : Combien de temps la réalisation d’une sculpture exige-t-elle ?

Alfred Blondel : Pour une sculpture aux deux tiers de la taille humaine, il faut compter trois mois, à raison d’une matinée de travail par semaine pendant douze semaines. J’avance à ce rythme parce que ma technique de modelage s’apparente à celle des potiers : j’ajoute progressivement des boudins de terre, en commençant par les jambes, puis le buste, les bras et la tête. Il faut une semaine pour que ce que j’ai modelé ait suffisamment durci et que je puisse ajouter la pièce suivante sans que le tout s’effondre. Dans ma période la plus productive, je pouvais avoir cinq ou six statues entamées en même temps, avec cinq ou six modèles différents que je revoyais chacune de semaine en semaine.

Horizons : Comment se déroule le travail avec un modèle ?

Alfred Blondel : J’essaie de faire en sorte que cela soit une collaboration. La légende raconte que Degas chassa vertement une jeune femme qui posait pour lui et qui s’était avisée de lui faire une remarque sur son travail. Moi, au contraire, je tiens à laisser au modèle une grande liberté. On commence toujours par une série de dessins préparatoires : le modèle prend des poses de sa propre inspiration, que je croque rapidement. C’est un premier matériau de travail, avant le choix d’une pose définitive et le modelage de la terre.

Horizons : Vous travaillez également la pierre ?

Alfred Blondel : Je l’ai travaillée pendant quinze ans mais j’ai aujourd’hui abandonné : c’est beaucoup trop fatigant. Je réalise également des sculptures en bronze : j’envoie un modèle en terre cuite à un fondeur, qui se charge d’en réaliser une copie en métal.

Horizons : Les femmes que vous sculptez sont très rarement représentées debout ou couchée. Pourquoi ?

Alfred Blondel : Je préfère des statues en position assise ou recroquevillée : cela permet des sculptures relativement ramassées en volume comme en surface. Cela convient davantage à ma technique de modelage, et c’est beaucoup plus pratique à exposer.

Horizons : Est-ce qu’un artiste peut vivre de son art aujourd’hui, en Belgique ?

Alfred Blondel : Je ne suis pas une bonne référence en la matière. J’ai eu la chance de mener une carrière professionnelle dans l’industrie qui m’a beaucoup plu et je profite grâce à cela d’une pension me mettant à l’abri du besoin. Je suis tout simplement habité d’une passion pour l’art, et j’ai voulu communiquer cette passion, sans chercher à en tirer des profits réguliers. Cette indépendance financière m’a permis une grande liberté : j’ai le privilège de n’avoir jamais dû sculpter selon des thèmes imposés, mais d’avoir toujours suivi mon goût et mon intérêt. Quand on veut gagner sa vie en tant qu’artiste, on court malheureusement le risque d’être prisonnier de son public : le spectateur devient un client, et cela peut brider la créativité. Quoi qu’il en soit, j’ai le bonheur d’avoir toujours trouvé un public enthousiaste sans avoir trahi mes convictions.

Plus d’infos : www.blondel.be

 

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