Entretien avec un défenseur convaincu des droits de l’enfant en Afrique

Justice juvénile, malnutrition, migration, trafic et exploitation des enfants sont des sujets que la Fondation Terre des hommes connaît bien. Fondée en Suisse en 1960 par Edmond Kaiser, elle se bat pour la défense des droits des enfants à travers des programmes de développement dans plus de trente pays du monde. Depuis trois ans, Frédéric Baele (ads 1995) en est le représentant au Mozambique.

Horizons : Pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre parcours depuis votre sortie du Collège ?

Frédéric Baele : Après Saint-Michel, je suis parti comme étudiant d’échange pendant un an avec AFS en Jamaïque. J’ai ensuite étudié le travail social à l’Institut Cardijn à Louvain-la-Neuve et la sociologie à l’ULG. C’est dans ce cadre que j’ai effectué un érasmus à Lisbonne. Après quelques jobs alimentaires, mon épouse et moi sommes partis avec un premier contrat comme volontaire au Bénin en tant que coordinateur d’un projet UNICEF/Coopération française. De là j’ai été recruté en 2005 par la Fondation Terre des Hommes Lausanne pour en devenir le délégué au Togo. Tant au Bénin qu’au Togo, les projets étaient tournés autour des thèmes de la protection des enfants et de la mobilité (comprenant les situations de migrations ou du trafic d’enfants). Depuis 2008, je suis maintenant au Mozambique, toujours pour Terre des Hommes. Nos interventions restent liées à la protection des enfants, mais dans un contexte différent : le Mozambique est fortement touché par le VIH/Sida et il faut répondre au défi de l’insertion des enfants dans des nouveaux modèles familiaux et sociaux.

Horizons : Et quel est plus exactement votre travail au sein de la fondation ? Décrivez-nous une journée-type d’un représentant Terre des Homme.

Frédéric Baele : Je vais d’abord parler de l’année, puis du mois, puis de la journée ! (rire) Sur l’année, mon rôle est de représenter Terre des Hommes au Mozambique, ce qui passe bien sûr par la recherche de fonds. Chaque mois, je reste une semaine à Maputo, la capitale, pour ce travail de plaidoyer et de networking. A côté de cela, je m’occupe du suivi administratif, financier et logistique des différents projets. J’accompagne un maximum nos équipes d’un point de vue technique. Enfin, la journée-type commence à 6h du matin pour arriver au travail à 8h après avoir conduit les enfants à la crèche et se termine vers 18-19h. Chaque matin a lieu une réunion d’équipe pour faire le point et le reste de la journée se partage entre les rencontres avec les personnes extérieures, les e-mails, les visites, le travail de plaidoyer… Je passe aussi énormément de temps avec quatre personnes : le coordinateur des projets, la personne ressource dans le domaine psycho-social, l’administrateur logisticien et la comptable. Au final, cela fait des journées de 10-11h de travail.

Horizons : Vous avez parlé de différents projets que vous menez avec vos équipes. Quels sont-ils ?

Frédéric Baele : Nous travaillons dans la province de Sofala au centre du Mozambique où 23% de la population est infectée par le VIH. C’est une zone très pauvre et déstructurée, suite à la guerre, au VIH mais aussi à cause des changements climatiques ressentis (changements dans les saisons, grosses sécheresses et pluies torrentielles). La province est donc dans un état de semi-urgence permanent depuis quelques années. Notre mission est de renforcer les acteurs de protection des enfants vulnérables et spécialement des orphelins : les familles et familles recomposées, les communautés etc. Nous veillons par exemple à la préservation de leur héritage matériel et spirituel (qu’ils gardent leur nom, le souvenir de leurs parents…). Nous travaillons avec les médecins locaux, les chefs de village et les leaders traditionnels, les écoles… Toutes personnes susceptibles d’aider les enfants ! En ville, nous avons ouvert une « Maison Amie des enfants » qui organise diverses animations et activités para scolaires orientées vers le renforcement de l’enfant. Ces activités poussent des objectifs de coopération, d’expression et de non-discrimination et sont appuyées par des débats autour de thèmes choisis par les jeunes, d’un service social pour les familles et enfants et des camps pour enfants qui utilisent la méthodologie de « travail de mémoire et de héros ». Il s’agit d’accompagner les enfants qui en ont besoin à avancer dans leur processus de deuil et de valoriser les forces dont ils disposent, pour qu’ils sachent d’où ils viennent, leurs forces et qui pourra les appuyer à dépasser leurs problèmes. C’est extrêmement complexe, d’autant plus que le VIH/Sida est encore très mal vu au Mozambique. Généralement les enfants dont les parents sont décédés ou malades habitent avec leurs grands parents qui culturellement ne parlent pas des morts. Les enfants se retrouvent donc doublement désorientés, à la fois par l’absence de leurs parents (au sens physique et symbolique) et par la discrimination dont ils sont victimes (avec des parents décédés les enfants sont plus à risque de pauvreté, de déscolarisation, de mariage précoce…).

Horizons : Dans tous les voyages que vous avez entrepris, quel a été a chaque fois l’accueil des populations locales ?

Frédéric Baele : En termes d’insertion, les populations locales ne font pas beaucoup de différence entre une ONG internationale et une entreprise. Les deux sont sources d’emplois et de fonds ! Il n’y a pas souvent une reconnaissance à priori de la pertinence sociale d’une ONG : qu’elle distribue des médicaments ou trois sacs de riz, l’accueil sera toujours bon mais les bénéfices que les populations espèrent tirer des ONG sont souvent différents de ce que les ONG espèrent atteindre. Cela signifie que le travail d’une ONG n’est pas toujours pertinent… Le plus dur est de réussir à avoir une bonne analyse de la situation, ce qui nécessite beaucoup de temps, d’écoute et de diplomatie. Les interventions décidées à Bruxelles ou Washington ou celles dépendantes de financements très temporaires n’ont pas souvent l’occasion de comprendre le contexte. Le Mozambique est un pays complètement déboussolé qui est passé du colonialisme au communisme, qui a connu plus de dix ans de guerre civile et maintenant favorise une économie ultralibérale. Parallèlement, le VIH/Sida s’est très vite répandu. Tous ces changements ont endommagé les structures familiales et sociales traditionnelles, dont les formes de solidarités et d’aide mutuelle et ont fait émerger de nouvelles valeurs, de nouvelles églises et de nouveaux styles de famille. C’est dans ce contexte que nous devons jouer aujourd’hui ! De plus, nous menons des interventions sur des sujets assez sensibles comme la relation parent-enfant, l’éducation des jeunes et l’intervention au sein des structures familiales vulnérables. Ces dernières années, les dons des associations humanitaires sont arrivés en masse dans le pays. Il est donc maintenant assez difficile d’aller vers les populations sans rien proposer de concret. Les habitants sont entrés dans une certaine logique de clientélisme et d’attente dont il est difficile de sortir. Travailler avec des familles pauvres qui dépendent du bon vouloir d’autres personnes pour survivre nous fait courir un risque de prendre trop de pouvoir sur ces familles et de leur faire violence. Une logique d’assistance mal construite couplée avec des interventions sensibles peut ne pas être bienvenue et même néfaste. Si nos interventions ne sont pas bien pensées, les familles peuvent accepter de se prêter au jeu de la discussion sur leurs « problèmes » et n’attendre en fait que le sac de riz. Dans cette relation il est parfois difficile de voir qui est « client » de qui. Pour reprendre la question, je pense que l’on est toujours bien accueilli sur un malentendu mais que ca prend beaucoup de temps pour réellement bienvenu.

Horizons : De quoi les enfants manquent-ils le plus sur place ?

Frédéric Baele : De parents ! Les enfants avec lesquels on travaille manquent le plus de parents ! Horizons : Mais que peut-on leur apporter ? Frédéric Baele : Tout dégringole une fois que l’on n’a plus ses parents : on devient plus pauvre, on n’a plus de repères. L’aide que nous pouvons apporter passe avant tout par mettre en place de nouveaux référents et modèles sociaux qui viendront aider les grands parents, amis, professeurs à guider les enfants vers l’âge adulte. Or, c’est la valeur humaine qui est la plus difficile à trouver !

Horizons : Cet été encore, on a pu suivre dans les journaux la détresse de millions d’Africains face à la famine. Quel regard portez-vous sur l’aide humanitaire ? Jugezvous son organisation efficace pour répondre aux besoins des populations locales ?

Frédéric Baele : En terme global, la situation n’est pas juste : on se retrouve dans les pays développés avec des agricultures subsidiées et des conditions d’accès aux marchés empêchant la concurrence des produits des pays du sud et les conditions de l’aide et de la coopérations empêchent la création de marchés protégés pour les pays du sud. De plus, beaucoup de sociétés commerciales et fonds de pension occidentaux achètent des terres en Afrique pour des besoins non-locaux. Du coup, un pays comme le Mozambique n’est actuellement pas auto-suffisant d’un point de vue alimentaire alors qu’il est près de 27 fois plus grand que la Belgique pour une population de 20 millions d’habitants!

Horizons : Que préconisez-vous alors ?

Frédéric Baele : Selon moi, il faut accepter que l’Afrique ne soit plus le centre d’écoulement des surplus américains et européens. Pourquoi une tomate coûte aujourd’hui trois fois moins cher importée d’Italie que produite sur place ? Dans un contexte aussi absurde, il est impossible de motiver les paysans africains qui sont poussés à produire des produits uniquement utiles à l’exportation car leurs produits ne sont pas compétitifs sur les marchés urbains locaux. Il faut aussi promouvoir l’utilisation des produits locaux qui sont souvent perçus comme étant de moins bonne qualité. Il est indispensable que les agriculteurs voient leur métier comme un métier d’avenir. Ensuite, il faudra améliorer les transports et la communication mais cela, ce sera dans un deuxième temps.

Horizons : N’y a-t-il jamais un moment où vous avez juste envie de baisser les bras ?

Frédéric Baele : Non, non ! Le travail que je fais est un travail social. Il y a donc de très belles réussites et d’autres situations plus difficiles. Les questions d’intégration scolaire ou de traitement du VIH/Sida prennent du temps et nous dépassent complètement : on a pris le flambeau à quelqu’un et on le donnera un jour à quelqu’un d’autre. Mais à l’intérieur de ce cheminement, il y a de magnifiques histoires individuelles !

Horizons : Vous gardez donc toujours espoir ?

Frédéric Baele : On peut toujours parler des innombrables problèmes. Pourtant, on voit chaque jour des nouvelles idées qui apparaissent. Les pays dans lesquels j’ai travaillé sont des pays extraordinaires, hyper dynamiques ! Tout bouge, donc évidemment qu’on est confiant ! C’est ici que l’on peut voir le dynamisme et la force humaine à dépasser les problèmes.

 

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