Un mec et sa guitare. Rencontre avec Thierry Hodiamont

En 2010, Thierry Hodiamont a sorti son premier album : « Toute l’eau de mes rêves ». C’est à la fois la concrétisation d’un rêve de gosse, l’aboutissement d’une passion nourrie durant quarante années et le début d’une nouvelle aventure, à la rencontre du public. Entretien – sur le mode brusseleir, autour d’une bière – avec un homme qui a autant de chaleur dans la voix que dans le coeur.

Horizons : Thierry, vous finissez votre parcours au Collège dans la promotion des rhétos de 1973, avec le Père Pilette. Que retenez-vous de vos années à Saint-Michel ?

Thierry Hodiamont : Le pire comme le meilleur. J’ai reçu une très bonne formation intellectuelle, en latingrec bilingue (avec l’histoire et la géographie en immersion en néerlandais). J’ai eu beaucoup de chance d’étudier là-bas, dans ce collège à propos duquel circulent bien des préjugés, dont celui qui voudrait qu’il soit réservé à une élite sociale. C’est faux, j’en suis la preuve vivante, moi qui viens d’un milieu modeste. J’ai rencontré des professeurs très marquants : Monsieur Lambillon, mon titulaire de 4e qui m’a communiqué l’envie de devenir professeur alors que je ne rêvais que de théâtre et de chanson, ou Joseph Lahaye, qui donnait une heure complète de cours sans aucune note – il fallait nous voir gratter sans oser même tousser !

Horizons : Quel était le pire ?

Thierry Hodiamont : Le pire, c’était cette institution très raide et hiérarchisée. Une discipline de fer, ça fait des soumis ou des révoltés. Mais les profs n’étaient pas dupes, ils étaient aussi contrôlés que nous. Et puis il y avait un côté un peu sinistre : le spleen du bâtiment, pas très rock’n’roll.

Horizons : Quel a été votre parcours après les études secondaires ?

Thierry Hodiamont : Thierry Hodiamont : J’ai fait une année de médecine, puis je me suis dirigé vers un régendat en histoire-géo. J’ai commencé à enseigner pendant trois ans, puis je suis parti vivre en Israël : j’avais l’impression d’être léger sur le plan humain, par rapport à mes élèves de 15 ans alors que je n’en avais que 23. Je me suis entiché de l’État d’Israël lors d’une élocution en humanités : j’étais fasciné par Israël et sa construction. J’ai répondu à une petite annonce proposant une place de volontaire logé et nourri… et je me suis retrouvé dans un village palestinien. C’est sans doute ce qui m’a le plus appris sur les préjugés. J’ai découvert là la violence d’un mouroir, et la guerre crue, nue, sans la musique que le cinéma lui accole. Pendant cette année de volontariat, j’ai fait connaissance avec la culture, la littérature, la cuisine… du peuple palestinien : fascinant !

Horizons : À votre retour en Belgique, vous reprenez votre métier de professeur…

Thierry Hodiamont : Oui, j’ai fait une carrière de 35 ans à Don Bosco. Un prof, c’est quelqu’un qui dispose de très peu de moyens : une boîte à tartines avec les clés et un frottoir. Certains enseignants doivent même avancer l’argent de leurs photocopies ! C’est avant tout une question de passion. J’ai donné cours comme on joue au théâtre, mais sept, huit heures par jour, ça m’a usé, j’ai arrêté assez jeune. Les gosses retiennent ça : la passion. Un prof doit être un transmetteur de passion.

Horizons : En 1988, vous interrompez votre carrière pour vous inscrire à la Kleine Academie (une école de théâtre bruxelloise). Pendant trois ans, vous vivez ainsi de petits boulots. Pourquoi cette décision ?

Thierry Hodiamont : J’ai toujours eu cette passion-là. J’ai appris la guitare à 14 ans, en jouant sur l’instrument de mes soeurs. J’ai écrit mes premières chansons à 18 ans. J’ai joué dans la troupe de théâtre du Collège, dans du Labiche et du Dürrenmatt. Mais dans ma famille, il y avait un veto absolu : c’était niet pour faire des études artistiques. Moi je voulais être indépendant, mener une vie de bohème, conquérir ma liberté : j’ai entrepris des études parce qu’il fallait bien gagner sa vie, mais ce n’était pas le grand amour. La Kleine Academie, ça a été une formation fabuleuse.

Horizons : Du théâtre à la musique, il n’y a qu’un pas, et la même passion ?

Thierry Hodiamont : J’ai découvert la chanson adolescent, je ne m’en suis jamais vraiment détourné. C’est à Saint-Michel que, pour la première fois, on m’a dit que ce que j’écrivais valait quelque chose. L’examen de français de poésie comprenait une composition. Mon professeur, le Père Minne, avait sélectionné quelques copies et les avait envoyées à un concours de poésie. Je l’ai gagné. Je retiens surtout les paroles qu’il m’a dites à ce moment-là, que j’étais un garçon de lettres, pas de sciences… C’est important en pédagogie : dire ce qui est bien, et pas seulement souligner ce qui est mauvais.

Horizons : Comment en arrivez-vous, des dizaines d’années plus tard, à sortir votre premier album ?

Thierry Hodiamont : J’avais déjà chanté, tourné un peu avec Fabien Degryse, mon ami de toujours (on se connaît depuis plus de trente ans) et un grand du jazz belge. J’avais plus ou moins abandonné la musique pendant une dizaine d’années, et on s’est retrouvé il y a quatre ans à l’occasion d’un concert à Spy, dans un club de jazz assez pointu. Il m’a dit : « C’est quand tu veux », je me suis lancé. Fabien m’a toujours dit qu’il y croyait, et voilà comment il s’est retrouvé à faire les guitares et à composer les arrangements sur cet album.

Horizons : Expliquez aux néophytes que nous sommes comment se déroule le processus de création d’un album.

Thierry Hodiamont : Pour faire un album, il faut trois choses. La matière, c’est-à-dire les chansons, plus de trente ans de travail. Les musiciens : ça s’est fait au fil des rencontres, des concerts, des amitiés. Et l’argent… un paquet de thunes ! Cet album a été complètement autoproduit. Le budget de la culture en Belgique, ce n’est pas grand chose. Le budget de la chanson française, c’est rien du tout. Et ce budget est squatté depuis 25-30 ans par les mêmes, je ne sais pas comment ils font (rires). Je préfère travailler comme artisan indépendant que de vivre de courbettes et de subsides. Ce n’est pas un monde pour les naïfs et les idéalistes.

Horizons : Comment un artiste indépendant fait-il pour atteindre le public ?

Thierry Hodiamont : On n’est pas forcément malheureux parce qu’on ne vend pas x milliers d’albums, on peut exister en tant qu’artiste sans être reconnu par le grand public. C’est comme l’océan : il y a les vagues, et puis toute la profondeur. En Belgique, des centaines d’artistes ne seront jamais reconnus, mais ce n’est pas le plus important. Le rêve, c’est d’offrir du bonheur aux gens. Ce n’est pas du tout que je n’y croie pas ou que j’y aie déjà renoncé. Dans le travail d’un artiste, il y a plein d’aspects : le succès n’en est qu’un, c’est une chose qui peut se produire, un accident. Tu ne travailles pas au succès, mais à tes chansons.

Horizons : Justement, comment travaillez-vous ?

Thierry Hodiamont : Je n’ai aucune règle. Le plus souvent, je vagabonde sur ma guitare et je trouve quelque chose, un début, un petit bout de mélodie et à force de le répéter, il y a une expression, des mots qui me viennent en tête, une phrase. Ou alors c’est un concept qui te vient. Par exemple, la chanson « Les histoires à maman », c’était l’envie d’être impertinent, de détourner les mélodies de gosses et de leur faire dire autre chose. Le travail d’une chanson, ce n’est jamais fini mais à un moment, il faut y aller et l’enregistrer. Quand j’étais adolescent, je pouvais écrire une chanson en une heure. Maintenant, c’est trois semaines, obsessionnelles, à se relever la nuit pour noter un mot, une idée : je « rentre en chanson » comme une femme entre en salle de travail. Travailler un texte ou une chanson, je ne savais pas ce que ça voulait dire. À présent, c’est presque un état maladif : les chansons existent, mais il faut aller les cueillir.

Horizons : Et les concerts ?

Thierry Hodiamont : Pour moi, la chanson, c’est dans les salles, devant un vrai public. Le problème, c’est que pour tourner, ce sont des lieux, même des petits lieux, qu’il faut convaincre. On a envoyé une démo de quatre titres à 120 centres culturels, deux ont répondu. Ils n’ont pas le temps, l’horizon est bouché. Le cd, c’est un véhicule. Ca multiplie potentiellement les oreilles à l’infini. Maintenant que l’album est sorti, avec les musiciens, on a envie de jouer, de projeter ce disque vers le plus d’auditeurs possible. On dit que c’est le public qui décide. C’est vrai et ce n’est pas vrai, parce que le public n’a jamais aimé quelque chose qu’il n’a pas eu l’occasion d’écouter.

Horizons : Que peut-on vous souhaiter ?

Thierry Hodiamont : D’écrire un jour une chanson dont ne fût-ce qu’une poignée de gens te disent : « Mais qu’est-ce qu’elle est belle ! » C’est peut-être ça le bonheur, bien plus que vendre un million d’albums. Ca reste un travail d’artisan : un petit objet, façonné avec des notes et des mots.

Merci Thierry, et bon vent !

Nos lecteurs peuvent commander l’album « Toute l’eau de mes rêves » en ligne (http://thierryhodiamont.be), ou découvrir Thierry Hodiamont sur scène le 15 juin au Rideau Rouge de Lasne, en duo acoustique avec Fabien Degryse (infos et détails de réservation à la rubrique « Rendez-vous » du site du chanteur). 

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