Rencontre avec Geneviève Damas
Geneviève Damas est comédienne, metteur en scène et auteur dramatique : « Molly à vélo », c’est elle, « STIB », c’est encore elle. Elle est désormais également écrivain. Son premier roman, « Si tu passes la rivière », a remporté le prix Rossel l’an passé, excusez du peu… Rencontre avec une passionnée d’écriture, sous toutes ses formes.
Horizons : Vous avez effectué vos deux dernières années secondaires au Collège. Quel souvenir gardez-vous de cette époque ?
Geneviève Damas : J’en garde un excellent souvenir. Ce furent deux années bénies, durant lesquelles j’eus la chance de rencontrer des professeurs de haut vol : Marc Lits (doyen de la Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication de l’UCL), Luc Legrand ou Willy Deweert. Je venais du Sacré-Coeur de Lindthout, qui était plus fermé. À Saint-Michel, je me suis beaucoup amusée, j’ai beaucoup appris aussi, et j’ai fait de belles rencontres. L’esprit critique des professeurs, entre autres vis-à-vis de l’institution ecclésiastique, m’a beaucoup plu. Ma fille y poursuit d’ailleurs sa scolarité.
Horizons : Quelles études avez-vous entreprises à la sortie du Collège ?
Geneviève Damas : J’ai fait des études de droit, d’abord à Saint-Louis, puis à l’UCL. Après cela, je me suis inscrite à l’IAD en théâtre. Deux professeurs m’ont plus particulièrement marquée : Bernard Marbaix, qui m’a appris la rigueur du travail théâtral, et Gérard Vivane, qui m’a fait découvrir l’art du masque et m’a donné le goût de la dimension artisanale du théâtre.
Horizons : Votre passage à l’IAD fut-il une expérience enrichissante ?
Geneviève Damas : Oui, une école de théâtre permet aux jeunes de concentrer leurs expériences, de faire des rencontres, de s’ouvrir à la diversité du milieu théâtral. Mais on n’apprend jamais tout à l’école, et c’est beaucoup moins amusant que la vie professionnelle. J’ai gardé contact avec certains étudiants de l’IAD : on se croise à l’occasion, mais ce sont surtout des gens qui appartenaient aux classes des années inférieures ou supérieures.
Horizons : Comment négocie-t-on le saut de l’école à la vie professionnelle ?
Geneviève Damas : Comme c’était un second cursus pour moi, j’ai commencé à travailler le soir en même temps que je fréquentais l’IAD : j’avais un job à la librairie du Théâtre National. Ensuite, j’ai débuté par un assistanat à la mise en scène au National avec JeanClaude Berutti. Ce fut ma carte de visite : un théâtre parisien cherchait une assistante pour trois mois, j’ai présenté ma candidature et j’ai été retenue. À la suite de cela, j’ai fait beaucoup d’assistanat, avec de très grands metteurs en scène : Philippe Sireuil, Jacques Delcuvellerie… Je voulais jouer également, mais je ne trouvais pas toujours de textes qui me plaisaient. Je me suis donc mise à adapter des romans pour la scène, puis j’ai écrit mes propres textes.
Horizons : C’est le début d’une longue série de succès…
Geneviève Damas : J’ai eu la chance de voir mon premier texte lu à Avignon, La Fée au cerf-volant en 2002. Deux ans plus tard, ma seconde pièce, Molly à vélo, a fait de moi la lauréate de la catégorie « Auteur » aux Prix de la critique (ndlr l’équivalent belge des Molières). Je ne m’étais jamais imaginée auteur, mais j’ai découvert un véritable plaisir dans l’écriture. Très vite, une évidence s’est imposée : une journée où j’écrivais était une journée réussie.
Horizons : Une dizaine de vos pièces ont été publiées et montées, en Belgique ou à l’étranger. Comment en êtesvous arrivée à écrire un roman ?
Geneviève Damas : Cela s’est fait assez naturellement et sans que je le prévoie. Je me suis mise à écrire des nouvelles puis, de fil en aiguille, une idée s’est imposée à moi, un défi : étais-je capable de mener une histoire sur la longueur, le temps d’un roman ? J’avais envie de nouveauté, un désir d’écrire autre chose. J’ai écrit « Si tu passes la rivière », je l’ai envoyé par la poste, entre autres à des éditeurs français, qui l’ont refusé, mais aussi à des maisons belges, dont deux m’ont signifié leur acceptation le même jour, l’une par email, l’autre par téléphone. J’ai reçu le coup de fil avant de vérifier mes mails… et j’ai d’abord dû refuser la belle proposition de Luce Wilquin. Le hasard a voulu que l’autre éditeur fasse faillite peu de temps après : j’ai donc pu revenir sur ma décision. Comme quoi, le hasard arrange parfois bien les choses.
Horizons : Quels sont les avantages et les inconvénients d’une petite maison d’édition comme Luce Wilquin ?
Geneviève Damas : L’avantage principal, c’est que comme la structure est plus petite, j’ai un contact personnalisé avec mon éditrice. Certes, par rapport aux mastodontes français, sa puissance médiatique est relativement faible, d’autant plus qu’elle est son propre distributeur en France… mais Luce Wilquin est une passionnée : elle se bouge vraiment pour défendre ses auteurs et les faire circuler. Elle a envoyé mon roman à plusieurs prix littéraires. C’est une maison à taille humaine et surtout, c’est une des dernières maisons à publier de la littérature en Belgique francophone. Quant à la partie flamande du pays, elle n’a plus d’éditeur littéraire du tout : je tenais beaucoup à ce que mon roman soit publié en Flandre, malheureusement, si c’est le cas, il devra l’être aux Pays-Bas.
Horizons : Vous remportez le prix Rossel avec ce premier roman. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître !
Geneviève Damas : Quand Jacques De Decker m’a confié qu’on pensait à moi pour le Rossel, j’ai failli tomber de ma chaise. C’est vrai que cela reste un label de qualité, même en France. Dès le moment où j’ai été présélectionnée pour le Rossel, j’ai vu bondir les ventes du livre. Normalement, la durée de vie d’un roman en librairie est de trois mois : à la fin de cette période, la présélection du prix a été rendue publique et les ventes de « Si tu passes la rivière », qui commençaient à décliner, ont été reboostées, entre autres grâce à l’important battage médiatique du Soir, qui organise ce prix depuis 1938. Maintenant, ce n’est qu’un prix littéraire parmi des milliers d’autres. Ma plus grande fierté, c’est sans doute d’avoir revu Luc Legrand, mon ancien professeur de français au Collège, avec mon roman sous le bras, qui m’a dit que j’avais écrit un bijou.
Horizons : Vous avez également fondé votre propre compagnie théâtrale en 1998, la compagnie Albertine. Un hommage à Marcel Proust ?
Geneviève Damas : Oui, Proust dont Marc Lits m’a communiqué la passion en rhéto. Au départ, fonder une compagnie était purement administratif : une telle structure était nécessaire pour toucher les subsides du ministère. Mais très vite, le plaisir de créer un projet autonome, le goût d’entreprendre se sont imposés. Recevoir une commande d’un théâtre, c’est super : cela permet de se reposer, de mettre son énergie sur un projet nouveau et de voir comment les autres fonctionnent. Il n’y a donc pas d’exclusive, mais la vraie joie, c’est de tailler un projet à sa mesure. En outre, il y a plusieurs pôles dans la compagnie : on organise aussi des lectures, ainsi que des ateliers d’écriture et de théâtre, à destination d’un public scolaire, universitaire ou d’adultes. La compagnie Albertine est enfin le noyau autour duquel se structurent mes trois métiers de comédienne, de metteuse en scène et d’écrivain.
Horizons : Comment s’organise la vie quotidienne d’une compagnie théâtrale ?
Geneviève Damas : Nous n’avons ni locaux ni engagements à l’année. Soit nous louons des espaces de répétition, soit des structures nous accueillent en résidence, et les équipes artistiques et techniques sont engagées au projet. Évidemment, il y a des gens avec lesquels je travaille plus régulièrement. Je refuse en tout cas de mettre en scène mes propres textes : le risque est alors de redire ce qu’on a déjà écrit. Il est plus intéressant de changer les points de vue, d’additionner les regards.
Horizons : Quels sont vos projets pour les mois et les années à venir ?
Geneviève Damas : Mon deuxième roman est sur le feu : cela va prendre du temps parce qu’il y a des petites choses qui coincent, mais ça va. Et avec la compagnie, j’ai un projet de théâtre pour enfants qu’on veut monter à Huy, et un projet pour les adultes qui mêlera théâtre et musique… Mais je ne vous en dis pas plus pour le moment !
Horizons : Un grand merci, Geneviève Damas, de nous avoir accueilli, et bon vent pour vos nombreux projets !