Récit de vie : passeport pour le monde

Mes études à St-Michel : un passeport pour la planète

Finalement ce qui compte dans la vie c’est la chance… encore que cela avait assez mal commencé pour mon frère Jacques et pour moi, car nous sommes nés en 1939-1940. La guerre, j’en ai même gardé certains souvenirs. La maison de mes grands-parents maternels était à deux pas du Collège : rue Père Eudore Devroye où ma mère était revenue habiter alors que mon père, officier dans l’armée belge, était en captivité en Allemagne.  Mes premiers balbutiements furent donc à l’ombre des murs du collège. Bruxelles occupé, le collège réquisitionné par les Allemands, les Italiens qui y montaient la garde étaient sympas, ils nous offraient des « caramelli », au contraire des sinistres nazis croates, les Oustachis.

Eté 1944 : me voilà dans un home pour enfants de militaires à Oroir (entre Audenarde et Tournai) au pied du Mont de l’Enclus. Tout le monde ignorait que là-haut il y avait une base de lancement de V2. Par chance, nous avons été évacués la veille d’un terrible bombardement Américain de nuit. Quelques jours après, les alliés sont arrivés depuis la France. Nous étions libres mais pas mon père. Il fallut attendre jusqu’en 1945 pour qu’il revienne de captivité. Ce fut la fête : la rue avec banderoles de bienvenue et ma mère bien sûr.

Jusqu’en 1949, j’ai habité à Tervuren. Le matin, je prenais le tram 45 pour St-Stanislas, admirant au passage la splendide Forêt de Soignes. Cette année-là, nous avons déménagé en famille vers l’Allemagne pour un commandement de mon père aux forces d’occupation. Découverte d’un pays complètement détruit, les gens habitant les caves. Un paquet de café valait une fortune au marché noir mais pour nous, c’était une vie de privilégiés !

1954 : c’est le retour en Belgique, un hiver sinistre et la pension au Collège St-Michel. Deux ans après, je rencontre des premiers jeunes réfugiés hongrois qui fuient la révolution dans leur pays. J’étais arrivé à St-Michel précisément l’année où la section Latin-Math avait été introduite. Ce fut un « One shot trial, » qui ne fut pas renouvelé. Au collège, tout le monde ignorait notre existence et comme nous n’avions même pas de classe assignée, nous faisions régulièrement le mur pour attendre les cours suivants au Castel, le bistro en face du collège pour ceux qui s’en souviennent.

1957-58 : Mon année de Maths spéciales avec les Pères Bribosia et de Carpentrie. Elle me permit de réussir l’examen d’entrée aux Ecoles Spéciales d’Ingénieur à l’UCL. En 1958, c’était aussi l’année de l’expo universelle. En me débrouillant, j’y avais obtenu un job de conducteurs de pousse-pousse motorisés :  60 francs la course alors que nous étions payés 20 francs/l’heure. ô l’esclavage !  Mais vu la demande, c’étaient nous les chauffeurs qui imposions les conditions de prise en charge : minimum 100 francs (Une fortune à l’époque : 2 euros 50 !), donc 40 francs en poche.  Nous recherchions les Américains, ils donnaient 100 francs plus 100 francs de pourboire, Je n’ai jamais eu autant d’argent liquide, ce qui me permit l’achat cash de ma VESPA 150 sport.

Durant mes trois premières années à Louvain, je travaillais en freelance pour une agence de voyage – la CIV – qui organisait des vacances de ski en Italie. A la rentrée, quatre fois par semaine, j’avais une permanence Aux Brasseurs à la Grand-place de Louvain La Vieille.  Ce fut un grand succès, il fallait refuser du monde, au point d’avoir été convoqué chez le Recteur de l’Université à la suite d’une plainte car nous faisions concurrence avec des voyages plus coûteux organisés par l’Université elle-même ! Je me suis quand même débrouillé pour continuer le business en cachette…d’autant que c’était une excellente façon de repérer quelques jolies filles de l’Univ ! Dès décembre venu, je partais pour les Alpes Italiennes pour organiser l’accueil en gare de Milan, les transports en bus vers Cervinia, les hébergements, etc. Puis à la mi-janvier, retour en Belgique et la reprise des cours.  J’ai toujours réussi mes premières sessions et une fois la délibé faite, je prenais la route pour l’Italie sur ma vespa, et même jusqu’à Rome en 1960 pour les Jeux olympiques ! Je crois que mon attrait pour l’Italie date de ces années de collège où St-Michel avait une politique d’échange avec le collège jésuite Léon XIII de Milan. Nous allions alors passer l’été auprès de familles italiennes, et les jeunes Italiens venaient chez nous en alternance. Et comme je parlais couramment l’italien, j’avais pris la décision, une fois mes études terminées, de m’établir en Italie mais la vie en décida autrement.

Ma véritable carrière professionnelle a commencé en 1962 lors du Stage industriel obligatoire en fin de 4ème année d’études. Il fallait se décider au printemps, et j’étais confronté avec la panoplie des choix industriels classiques : Arbed/Hoboken/Cockerill etc., mais apprenant que la Grèce offrait un stage payant en métallurgie à un étudiant belge, je fis le siège de la secrétaire en charge à l’Ambassade grecque à Bruxelles. Une fois obtenu l’accord de principe d’Athènes, il me restait à obtenir le feu vert du Doyen de la faculté de Métallurgie à Louvain. Ce qui fut fait et je partis donc pour la Grèce, avec ma 2CV et avec un autre Guy qui faisait un stage similaire à Istamboul… A Athènes j’étais logé gratuitement au Polytechnique et quand je me suis présenté à la Kaligouria Aspropyrgos, dans la banlieue industrielle d’Athènes, je fus accueilli par un génial directeur grec qui avait fait ses études d’ingénieur à Liège. Il m’a regardé d’un air compatissant en me demandant si je comptais vraiment passer l’été à côté du four Siemens Martin de son usine. Voyant mon hésitation, il s’est penché, a fouillé dans son tiroir et négligemment jeté un gros dossier sur son bureau. L’année dernière un étudiant de Gand est venu faire le même travail, le voici en Anglais, prends-le, je considère donc ton stage comme terminé, ne viens pas nous embêter, sauf le vendredi jour de paye…et va visiter les iles ! Il ne me restait qu’à lui obéir. Mais j’ai quand même travaillé un peu dans l’usine pour apprendre les secrets de fabrication du « Phil Mashin » càd : fers à bétons.

Fin août, Christian mon compagnon de cours m’avait rejoint, car nous avions décidé et obtenu l’autorisation de visiter l’usine de traitement de minerai du Cap Sounion pour nous familiariser avec le procédé de flottation métallurgique (thème de notre travail final de fin d’études).   Cela fait, et avec l’autre Guy, revenu d’Istanbul, nous sommes remontés vers la Belgique  – en  2CV toujours –  avec un  détour par  le Mont Athos où grâce à une introduction de St-Michel, le Patriarche de Salonique nous avait autorisé la visite, en s’assurant que nous n’étions pas de la gent féminine, interdite sur la péninsule !  Et au terme de ma dernière et cinquième année aux Ecoles spéciales d’Heverlee, j’obtins mon diplôme en septembre.

1964 fut une année très occupée : fin de service militaire à la division pipe-line de l’OTAN, embauche par le groupe De Smet à Anvers et mariage en décembre avec ma charmante Françoise. Et dès janvier 1965, nous nous sommes retrouvés à Tarragone chez Cargill pour le démarrage d’une usine, vite suivi par un autre job à Cali en Colombie. L’hiver 1966 me retrouva à Florence, pour une autre usine mais dans des conditions rendues difficiles par la crue de l’Arno. Là au moins je pouvais parler Italien et les week-end, nous étions volontaires pour sécher les pages des incunables de la librairie des Uffizi !…

Depuis je n’ai pas arrêté de résider et travailler à l’étranger, y compris deux ans à Karachi et Lahore, avant la partition Pakistan / Bangladesh. Nous fûmes avec mon épouse, les premiers à visiter la nouvelle Ambassade de Belgique à Islamabad, la nouvelle capitale du pays. Pour la petite histoire, nous nous sommes retrouvés, le soir de Thanksgiving 1967 « kidnappés »   – devant la dinde traditionnelle – par un staff CIA à la base aérienne américaine de Peshawar. Nous ayant entendu parler néerlandais, ils nous soupçonnaient d’être des espions ukrainiens. Il est vrai que l’endroit était ultra-sensible, car c’est de cette base qu’opéraient les U2 y compris celui de Gary Powers, et nous avons revécu cet épisode avec le film de 2015 « Bridge of Spies » avec Tom Hanks que je vous recommande !

Puis ce furent 11 années de rêve au Mexique, conversion totale à l’espagnol et adieu l’italien ! En plus des 32 Etats mexicains de ce gigantesque pays, j’ai dû voyager à travers toute l’Amérique Latine. L’Amérique Latine fut un énorme succès commercial et industriel pour le groupe De Smet, nous y avons pratiquement complètement détrôné l’ensemble de nos concurrents américains.

Ensuite en 1979, je fus nommé Vice-Président pour le même groupe à la division Nord-Américaine à Atlanta, suivi en 1984 de deux années pour le groupe Bekaert en Floride.  Finalement en 1986, j’ai créé ma propre entreprise à Miami (la ville latino-américaine la plus proche des USA). Dans un premier temps, une activité de consultant dans le domaine du traitement industriel des oléagineux. Ce qui me donna l’occasion de collaborer avec les Banques de développement international à Washington DC et de découvrir l’Afrique puis l’Océanie, y compris la grande Ile de Hawaï et le Samoa Occidental où j’ai travaillé pour un projet d’huile de copra avec un médecin anversois qui était leur ministre de l’ Agriculture.

Dans un deuxième temps, avec mon fils Hugues (MBA Penn State), nous avons développé depuis Miami, une activité d’ingénierie et vente d’équipements industriels, axée sur le marché latino-américain. Notre équipe était multinationale et nos fournisseurs malais, japonais et singapouriens.

Comme disait le Général Patton parlant de Napoléon : « l’audace…toujours l’audace ». Pour réussir il en faut beaucoup mais à utiliser à bon escient et surtout reconnaitre la chance lorsqu’ elle se présente. J’avais étudié la métallurgie, et je me suis retrouvé expert en oléagineux ! Si j’avais étudié à Gembloux je me serais peut-être reconverti à la sidérurgie ! En tout cas, j’ai appris que dans la vie il y a toujours une solution et qu’il n’y a pas de travail opiniâtre et d’optimisme qui ne finissent par porter ses fruits.

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