Interview de Lucienne Schmitz

Interview de Madame Lucienne Schmitz

En juin 2021, elle prend sa pension après 10 années à la direction du 1er degré du Collège St-Michel

Horizons (H) : Commençons par un peu d’histoire. Quand débute votre carrière à St-Michel ?

Lucienne (LS) : C’est en 1982 que je suis arrivée à St-Michel.  Avant cela, j’avais été enseignante chez les Dames de Marie au Square Vergote pendant 3 ans. A St-Michel au début, je remplaçais un professeur de Français. Je n’avais que 7 heures de cours éparpillées sur l’ensemble de la semaine dans une classe de 29 garçons assez remuants !… Au fil des années, au premier degré, j’ai enseigné également le latin, et l’étude du milieu et on m’a confié le titulariat d’une classe de 2ème.

H : Quand se fait votre passage à la sous-direction du 1er degré ?

LS : C’est à partir de 2004 que j’ai été associée à la direction du 1er degré aux côtés de Jean-Jacques Dayse d’abord pour 2 heures puis pour 4 heures, tout en demeurant professeur. Mais progressivement à cause des réformes dans le 1er degré puis du Décret inscriptions, la tâche dans le degré s’est complexifiée et j’ai dû – hélas – réduire de plus en plus mon professorat et seconder Jean-Jacques Dayse dans sa direction du 1er degré et ce, jusqu’en 2011, année où il prit sa pension. A cette époque, mon travail était de s’occuper des élèves « récalcitrants » disciplinairement et pédagogiquement. Les écouter, les comprendre, leur expliquer les exigences et les raisons d’une discipline ainsi que les aider à s’investir dans leur scolarité. En faisant cela, j’ai découvert parfois que ces enfants en difficultés scolaires vivaient aussi au sein de leur famille de nombreuses détresses et de cela, je n’en avais pas eu conscience jusque-là. Autre mission aussi, c’était d’organiser des séances d’information sur le 1er degré à St-Michel pour les parents d’enfants de 6ème primaire désireux de les inscrire au collège. Avant la pandémie, on en faisait trois par an et l’an passé il y en eut 11 mais en petit comités !

H : En 2011, vous prenez la direction du 1er degré. Pour la 1ère fois à St-Michel, une femme devient Sous-directrice. Quel effet cela vous fait ?

LS : Pas grandchose ! puisque déjà depuis 2004 j’étais associé à la direction du degré ; les professeurs me connaissaient et les parents aussi. Je soupçonne quand même mon prédécesseur d’avoir, en me choisissant, voulu manifester aux parents surtout, que même à St-Michel la mixité se vivait dans la direction du collège !

H : Quand vous prenez cette charge, est-ce que vous continuez à donner quelques cours ?

LS : C’est impossible même si mon ADN est d’être enseignante. Car le 1er degré c’est à peu près 600 élèves, 23 classes : 11 premières et 12 secondes, une soixantaine de professeurs à gérer, aider, encadrer, motiver, encourager ; ce sont des parents à rencontrer et aussi de plus en plus, de multiples tâches administratives à accomplir. Bien sûr, je n’étais pas seule, il y avait des équipes de professeurs, d’éducateurs ou éducatrices qui me secondaient. Être sous-directrice c’est une multiplicité d’activités diverses à accomplir dans le cadre d’un horaire qui n’est pas deux jours le même, tant les imprévus sont nombreux dans une journée.

H : En 10 ans de direction, comment décririez-vous votre travail avec les professeurs ?

LS : Le Collège St-Michel a beaucoup changé en 10 ans sous les effets conjugués du Décret Inscriptions et de la réforme du 1er degré. Pour résumer, le Décret a la volonté d’organiser les inscriptions en 1ère année du secondaire de manière plus équitable et transparente en instaurant une procédure centralisée et en favorisant la mixité sociale. La réforme du 1er degré du secondaire, quant à elle, par l’harmonisation des socles de compétences veut consolider les bases communes des apprentissages chez tous et favoriser une école de la réussite. Au terme du 1er degré, il n’y aura pas de redoublement. Concrètement à St-Michel, cela veut dire qu’en 1ère année, arrive une population d’élèves en provenance de 80 à 100 écoles primaires différentes et donc d’horizons pédagogiques et de milieux culturels et sociaux très diversifiés d’autant plus que la loi prévoit que chaque établissement secondaire doit accueillir un certain pourcentage d’enfants en provenance d’écoles primaires ISEF (écoles à indice socio-économique faible). Face à cette population si diversifiée arrivant au collège, ma mission a toujours été de « déverrouiller la peur » du corps enseignant.

H : C’est-à-dire ?

LS : St-Michel a une tradition d’excellence mais par rapport à ce public d’élèves d’horizons très différents, les professeurs se trouvent démunis et prennent peur de ne pouvoir relever le défi des exigences de réussite. J’ai donc essayé de déverrouiller leurs peurs en leur demandant de tenir leurs exigences mais en les rendant accessibles pour leurs élèves. Et pour ce faire, direction et professeurs devaient œuvrer ensemble. Se donner des outils, des formations, des journées pédagogiques pour mieux se situer en tant qu’enseignants mais aussi pouvoir aider et comprendre les difficultés des élèves. Il m’a fallu agir sur les mentalités et les représentations et convaincre que notre évolution pédagogique était possible. Fameux défi également de saisir que dans nos classes, il peut y avoir des élèves avec des besoins spécifiques parce qu’ils sont par exemple, dyslexiques, dyspraxiques, dyscalculiques ou à haut potentiel, etc. et qu’il est nécessaire que nous leur donnions des outils spécifiques ou des horaires différents pour leur réussite par exemple.

H : Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans votre travail ?

LS : Avec les professeurs, ce fut de changer les mentalités et convaincre. Passer du « On a toujours fait comme cela à St-Michel » à « Donnons du sens à nos mutations pédagogiques sans abandonner nos exigences » ou aussi, prendre des décisions qui pouvaient parfois ne pas satisfaire tout le monde. Avec les élèves ce fut plutôt développer une pédagogie du sens à donner à leur travail. Bref, avec les conséquences du Décret Inscriptions et des réformes du Premier Degré, ce fut une révolution en douceur à opérer par la conviction, l’explication, les rencontres et des médiations diverses. Pour le côté difficile du travail, je pense évidemment aussi à cette année et demie de pandémie que j’ai connue, que nous avons connue : élèves, parents, corps enseignant et direction. Les cours en distanciel, l’utilisation du numérique, le respect des règles sanitaires, les impacts psychologiques du Covid et enfin l’évaluation des élèves sans évaluation au terme de l’année scolaire !

H : Et si on passe maintenant aux côtés positifs, « consolants », fortifiants de votre métier, que diriez-vous ?

LS : Voir des professeurs heureux parce qu’ils ont été rencontrés, écoutés en profondeur, soutenus dans leurs initiatives.  Revoir des élèves qui reviennent à l’école après un burn-out, une dépression, une phobie scolaire parce qu’ils ont trouvé sur leur route l’aide et le soutien d’un professeur, d’un éducateur ou d’une éducatrice. Accueillir dans son bureau des parents qui reprennent le dialogue entre eux pour le bien et l’avenir de leur enfant. Rencontrer des élèves réalisateurs et porteurs de projets et qui deviennent autonomes. Participer chaque semaine au Bureau de Direction où les différents responsables du collège partagent leurs réalisations, préoccupations ou questions et développent leur collaboration. Participer aux réunions de la Coordination jésuite qui réunit trois fois par an les responsables pédagogiques et de l’éducation des différents collèges jésuites belges francophones. Et c’était très instructif et formatif !

H :  En quoi ces réunions ont-elles été, pour vous, instructives et formatives ?

LS :  Elles me l’on été pour diverses raisons. D’une part, c’était pour moi l’occasion de rencontrer d’autres responsables éducatifs et pédagogiques des collèges, d’échanger entre nous nos pratiques, nos questions, de nous ouvrir à d’autres situations et de nous former. D’autres part, ces réunions ont approfondi mes connaissances de la pédagogie jésuite. Quand je suis arrivé à St-Michel en 1982, je ne connaissais rien à la pédagogie jésuite. Je suis originaire de Polleur (Province de Liège) j’y ai fait mes maternelles, puis mes primaires ; ensuite mes humanités à l’Institut des Saints Anges à Verviers. Institution concurrente à l’époque du Collège jésuite St-François-Xavier !… Je n’ai donc appris ce qu’étaient les jésuites et leur pédagogie qu’en arrivant à St-Michel. J’y ai été initiée progressivement et depuis les années 2000 grâce aux formations données par la Coordination des collèges, je suis passée de la théorie à l’intériorisation de cette pédagogie qui fut et est pour moi une vraie révélation.

H : Comment pourriez-vous caractériser cette pédagogie jésuite ?

LS : C’est difficile de la résumer en quelques mots mais pour moi il y a trois idées fortes. D’abord, la « cura personalis » comme disent les jésuites, c’est-à-dire avoir le souci de la personne de l’autre dans son entièreté : intelligence, volonté, affectivité, corps, liberté, etc. ; ensuite, le « magis » c’est-à-dire « le plus, le davantage, le meilleur » à susciter, à promouvoir en chacun(e), ce qui peut se traduire aussi par le principe de l’excellence qui stimule chaque personne à employer au maximum ses propres ressources ou talents ; et enfin, le service, car l’excellence ne prend sens que lorsqu’elle est au service de la société, des autres en vue d’un monde plus juste et plus solidaire. Pour moi, cette pédagogie, par sa pertinence « colle » parfaitement à notre époque.

H : Être directrice du 1er degré est une responsabilité chronophage qui mobilise toute la personne, ses forces intellectuelles, physiques, psychiques, etc.  Quand vous en aviez la responsabilité, quelle était votre respiration, votre détente ?

LS : Le collège !… à tel point que mon mari me disait souvent : « Arrête, ferme, ton ordi, détends-toi, pense à autre chose ! » et il avait raison car le collège occupait mon esprit 24 heures sur 24. Pour répondre quand même à la question, ma respiration, c’était, c’est m’occuper de ma famille, prendre soin de mes petits-enfants, faire du jardinage, de la couture, de la broderie. J’aime accueillir, recevoir des personnes chez moi, Je ne suis pas une voyageuse. L’enseignement est, était toute ma vie. C’était ancré en moi dès mes 3-4 ans, dès la maternelle. Mon rêve était d’être institutrice ! J’avoue, je confesse que lorsque toute petite, je rentrais chez moi, – mes parents ayant acheté et installé un petit tableau dans la cuisine – je forçais mon frère, parfois les voisins à s’asseoir sur des petites chaises devant moi, à m’écouter et à me voir écrire, griffonner sur le tableau avec des craies, des chiffres, des lettres, des dessins. Je faisais « comme ma madame » : l’institutrice de ma classe. Dire que mon public était attentif, c’est beaucoup dire ! Aujourd’hui avec la pension, je passe d’un statut connu à un autre inconnu… Mais je vais d’abord souffler, me refaire car les années 2020-21 m’ont éprouvée physiquement et mentalement : la gestion du 1er degré en temps de Covid et le décès de mon mari.

: Chère Lucienne, merci pour le temps passé à cette interview qui fut révélatrice de ce qui fait toute la vie d’une directrice du 1er degré. Et derrière l’intervieweur…c’est le Collège, les Anciennes et les Anciens qui vous expriment leur merci pour la mission accomplie à St-Michel. Bonne retraite ! Belle route !

 

Philippe Stiévenart

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