Pierre Defoux, un pédagogue jésuite hors pair (1924 – 2013)

Il fut le premier jésuite que je rencontrai à Saint-Michel. À l’époque, on imposait encore un examen d’entrée aux élèves qui se présentaient pour entamer les humanités alors qu’ils terminaient le cycle primaire dans une autre école.

Dans l’immense salle d’études où nous attendions, intimidés, le début de l’épreuve, je le revois arriver, silhouette mince, virevoltant dans sa soutane noire, et annonçant le titre d’une dictée redoutable : « Le Père Damien ». Je devais le retrouver quelques mois plus tard (septembre 1967), cette fois comme professeur de français dans la sixième latine du P. Collart. Quel éblouissement ! Pierre Defoux était un pédagogue né. Il avait notamment mis au point un système d’analyse graphique, fait de flèches et de couleurs, qui égayait cette austère discipline et la rendait plus accessible. Son imagination débordante inventait des sujets de rédaction française inédits : ainsi la conception d’un prospectus publicitaire vantant les mérites d’un stylo-qui-écrit-tout-seul ! Loin de limiter sa peine aux seules heures de classe, il ne manquait pas de nous faire bénéficier de ses talents artistiques en annonçant chaque semaine par un petit dessin affiché en classe les « élocutions » que deux d’entre nous allaient tenir. Le style inimitable des vignettes de nos manuels de latin aura nourri l’imaginaire de combien de générations ! Pédagogue insigne, artiste génial, doué d’une multitude de talents, Pierre Defoux incarne pour moi l’idéal du professeur d’humanités : si passionnément humain, si profondément humble. (Robert Godding, s.j.)

Jésuite, prêtre, professeur, Pierre a été en tout un artiste. Le dessin, le sens artistique étaient chez lui un don inné, un talent qu’il a fait fructifier. Mais bien avant d’être l’artiste talentueux et généreux que nous connaissons, lui qui se reconnaissait simplement et modestement traducteur, interprète ou metteur en scène de la parole, Pierre a été un grand observateur de la nature et des humains. Il a jeté sur eux un regard sympathique, contemplatif et évangélique. L’artiste, en lui, était avant tout un contemplatif.

Dans notre société qui est devenue de plus en plus une société du spectacle, nous sommes sollicités par une multitude d’images qui se présentent à notre vue. Toutes ne sont pas d’un égal intérêt. Il ne suffit pas de voir. Il faut savoir regarder. Pierre fut un artiste au regard juste, transparent et amical qui nous apprend à regarder. Ce regard d’artiste chrétien porte un double secret dont nous pouvons tirer profit.

Le secret de ce regard juste, c’est d’abord de regarder avec les yeux du cœur. Le renard du Petit Prince de Saint-Exupéry a le mot exact quand il dit « qu’on ne voit bien qu’avec le cœur et que ‘essentiel est invisible pour les yeux ». Ce regard est celui de l’aveugle-né guéri par Jésus dans l’évangile de Jean (chapitre 9). Ce regard est le chemin de la découverte de Jésus.

Pour avoir un regard juste, il faut ensuite avoir dépassé ses illusions sur soi-même et sur le monde. C’est la seconde leçon que nous laisse Pierre. Lui qui était si soucieux des apparences, il nous dit ue l’essentiel, nous ne l’atteignons qu’à travers ces apparences imparfaites, au-delà de ces apparences. Si nous nous arrêtons aux apparences, nous restons prisonniers de notre désir. Notre regard reste rivé aux choses telles que nous voudrions qu’elles soient et non pas telles qu’elles sont.

Les yeux du cœur, pour un chrétien, ce sont les yeux de la foi. Merci, Pierre, parce que ton œuvre artistique nous invite à regarder vraiment, longuement, intérieurement. Tu nous propose de jeter un regard neuf et toujours renouvelé sur la personne même de Jésus,sur nous-mêmes, sur la nature et sur les événements du monde, au-delà des illusions, un regard réaliste et néanmoins poétique.

Il est devenu courant d’opposer le « voir » et le « croire ». Pour Pierre, comme dans l’évangile de Jean, la foi est un « voir », un regard de personne à personne. « Où est le Fils de l’Homme pour que je croie en lui ? », demande l’aveugle-né après sa guérison ; et Jésus lui répond : « Tu le vois, c’est lui qui te parle ».
L’œuvre artistique de Pierre est une œuvre qui propose, Sans l’imposer, la suite du Christ et l’école de l’Esprit. Une œuvre jésuite, assurément ! (Robert Myle, s.j.)

 

Article par Robert Godding, s.j. et Robert Myle, s.j.

 

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