Le Pape François, venu du sud et jésuite
Quand vous avez eu l’annonce de « la fumée blanche », quelles ont été vos réactions ?
Mes premiers sentiments ont été l’étonnement et la surprise : sur 115 cardinaux électeurs, il n’y avait qu’un seul jésuite. C’est lui qui a été choisi : J.M. Bergoglio… Nous regardions la T.V. ensemble, le 13 mars : notre surprise fut grande, comme celle des deux confrères qui commentaient à la T.V. l’élection. Ce fut aussi un moment d’émotion et de joie : le choix si parlant de son nom ‘François’ (plusieurs saints jésuites portent ce nom) ; sa simplicité réelle ; sa demande qu’on prie pour lui et le ministère qu’il inaugurait en bénissant la foule rassemblée. Or le silence qui suivit fut impressionnant sur la place St Pierre – un moment dense de communion profonde… Enfin, ce Pape venu du sud s’est présenté d’abord comme évêque de Rome, en successeur de Pierre !
Dans l’histoire, y eut-il beaucoup de religieux à devenir Pape ?
En vingt siècles, sur les 266 Papes, une cinquantaine ont été des religieux ; ce n’est pas vraiment exceptionnel : surtout des bénédictins, et 5 franciscains, 4 dominicains, mais un seul jésuite… À dire vrai, il faut surtout souligner que c’est un pape venu du sud, un latino-américain d’Argentine, et non pas un cardinal issu de la Curie romaine, ce qui est significatif.
Quels liens entre ce nouveau Pape et la Compagnie de Jésus ?
Né en Argentine (décembre 1936) de parents émigrés italiens du Piémont, l’actuel Pape François après sa formation comme jésuite a été ordonné prêtre dans la Compagnie en 1969 (la même année que moi !) Il a été Provincial des Jésuites d’Argentine, sous la dictature de Videla, puis évêque coadjuteur et archevêque de Buenos-Aires, primat d’Argentine. Comme jésuite, il sait l’importance du ‘discernement’, qui jette un pont entre principes chrétiens et réalités vécues…
Cependant dès qu’un religieux est nommé évêque, il est délié de son vœu d’obéissance concernant ses tâches et ses missions. La situation est alors renversée : quand le Pape François a téléphoné pour inviter le Père Général à le rencontrer, c’est ce dernier qui a présenté les services des Jésuites au Pape, qui lui a vite dit : « Nous allons continuer à nous tutoyer, n’est-ce pas ! »
Des critiques sévères se sont cependant élevées : qu’en penser ?
Quelques allégations ont de fait été lancées ; mais chacun sait qu’il s’agit toujours de contrôler la véracité d’une allégation… On a parlé d’une mauvaise santé, d’un seul poumon encore en état, de son âge aussi. Que le Pape actuel ait été opéré d’un kyste au poumon à vingt ans, c’est certain ; mais il a toujours ses deux poumons et il a du souffle, Dieu merci. Il est âgé de 76 ans, mais sept papes plus âgés ont été choisis avant lui, dont Jean XXIII et Benoît XVI. Quant à ses attitudes pendant la dictature argentine, des rumeurs ont été lancées et se sont avérées fausses (voir Adolfo Perez Esquivel, prix Nobel de la Paix & Armand Veilleux, abbé de Chimay qui a été en Argentine à l’époque). Dès qu’on est appelé à une telle tâche, des critiques fusent – et ceci me paraît surtout révélateur sur ceux qui lancent de telles critiques et sur leurs intentions !
Des représentants de la laïcité, en Belgique, n’ont pas ménagé leurs critiques…
Il est vrai que quelques représentants ont lancé, dans les médias, des critiques assez violentes à l’égard du nouveau Pape. Si chacun a le droit, certes, de s’exprimer, on pourrait sans doute attendre plus de ‘tolérance’, lorsque se produit un tel événement rare et se vit une telle communion, avec un retentissement universel. Ou alors ne pourrait-on plus parler de ‘conclave’, de ‘fumée blanche’, de ‘la messe est dite’ que de manière laïque, pour le monde de la politique ??? Ce qui serait plus inquiétant, à mon sens, c’est qu’il n’y ait aucune critique, car cela signifierait une indifférence à ce qui se déroule.
ENCADRÉ : Dans notre monde, selon le PEW FORUM (USA),
sur moins de 7 milliards d’êtres humains, les fils d’Abraham le croyant sont =
° JUIFS : 14 millions (0,2%) ;
° CHRÉTIENS : 2.200 millions (32%), ce qui est un nom de famille,
avec une petite majorité de catholiques, soit 51-52% ;
avec 12% d’orthodoxes et 36-37% de protestants, anglicans, évangéliques…
° MUSULMANS : 1.600 millions (23%), avec sunnites, chiites, druzes, alaouites (Syrie)…
En outre, 16 % d’humains se disent actuellement sans appartenance religieuse.
Et quelles sont à présent les grandes étapes à venir ?
Il est clair qu’il s’agit de laisser du temps au temps, pour prendre la mesure des défis posés avec leur enjeu vital. Après la belle rencontre, à Castel Gandolfo, entre le Pape émérite et le nouvel élu – un vrai tournant –, le Pape actuel aura à se choisir un ‘secrétaire d’état’ (son bras droit) et à désigner les responsables des départements de l’administration de la Curie (on parle à Rome de ‘dicastères’). Or ce Pape n’est pas issu du monde de la Curie ; il se présente d’abord comme évêque de Rome, ce qui est important au point de vue œcuménique. Le grand espoir, au-delà des gestes concrets et humbles, est qu’il y ait demain un exercice plus authentique de la collégialité épiscopale, dont avait si bien parlé Vatican II.
Chaque successeur de Pierre a évidemment son ‘style’ : Benoît XVI était un bon enseignant et un solide théologien ; le Pape François est assurément très différent : un homme de proximité, un témoin de l’Évangile en actes concrets et en gestes neufs, un homme qui parle d’une Église pauvre et d’une Église des pauvres. Or notre temps n’a-t-il pas davantage besoin de témoins que d’enseignants ? Rendez-vous à Rio (23/28 juillet) pour les JMJ où la présence du pape François est confirmée – affaire à suivre. Nous pouvons tous prier pour lui et sa mission !