In memoriam Willy Deweert

C’est avec une immense tristesse que nous avons appris la disparition le mercredi 3 août 2016 de notre ancien élève (ads 1956) et ami, le professeur émérite Willy Deweert à l’âge de 80 ans. Il avait été professeur titulaire de rhétorique au Collège durant de très nombreuses années jusqu’à sa retraite. Il laissera à tous ses anciens collègues, élèves et amis le souvenir d’un homme ouvert, d’un humaniste toujours en quête de vérité, d’un maitre talentueux et dévoué à ses élèves et d’un ami généreux et bienveillant.

À ses talents d’enseignant, il avait joint ceux de l’écrivain au style original inaugurant un genre littéraire nouveau : le polar mystique, à côté de plusieurs essais sur la pédagogie et sur l’esprit de notre temps.

À son épouse, à ses enfants, à ses proches, l’AESM adresse ses plus sincères condoléances et partage l’espérance profonde qu’avait Willy de se savoir désormais à la droite d’un Père qui l’interpellait autant qu’il Le chérissait. Qu’il repose en paix et veille sur nous tous.

En hommage au professeur Deweert, nous reproduisons ici la très belle interview qu’il avait accordée à Thibaut Radomme (ads 2007) dans le numéro 77 d’Horizons en 2012.

Entretien avec Willy Deweert
Willy Deweert, ancien professeur de rhétorique au Collège Saint-Michel, vient de publier son roman « Le Maître de la vigne », un thriller mystique qui mène le lecteur sur les traces des nazis pendant la seconde guerre mondiale. Horizons l’a rencontré.

Horizons : Willy, racontez-nous votre parcours.
Willy Deweert : Je suis né à Etterbeek en 1936, à dix minutes à peine du Collège, où j’ai accompli toute ma scolarité. Après avoir été très bon élève en primaire, j’ai accumulé plusieurs échecs en humanités. On a découvert plus tard que j’avais la mononucléose. Cela n’explique pas tout : il faut dire que j’étais un jeune homme turbulent et paresseux. Ce qui m’a sauvé, c’est la lecture : je lisais beaucoup, tout ce qui me tombait sous la main, sans discernement. J’achetais les livres chez les bouquinistes avec mon argent de poche, mes parents ne lisaient pas. J’en empruntais aussi à la bibliothèque du Collège, à mes professeurs. Mon parcours de lecteur a été très hétéroclite, mais dans chaque livre j’ai puisé quelque chose que j’ai gardé.

Horizons : Comment est née votre vocation de professeur ?
Willy Deweert : Au contact du Père Paul Goreux, mon professeur de rhétorique. Il a tellement impressionné le jeune homme que j’étais alors, que j’ai décidé d’entrer dans la Compagnie de Jésus en 1956, pour l’imiter et pouvoir devenir professeur de rhétorique à mon tour. Je suis entré chez les jésuites sans aucune vocation, mais je ne l’ai pas regretté : ça m’a déniaisé. J’étais un jeune con, j’y ai appris trois choses essentielles ; la vie intérieure, une bonne méthode de travail et l’importance capitale de la volonté. J’ai ensuite fait mes études à l’université avec beaucoup de facilités, mes candidatures en philologie classique à Namur, puis la licence à l’UCL, et une licence de philosophie thomiste à Egenhoven.

Horizons : Qu’est-ce qui vous a décidé à quitter les jésuites ?
Willy Deweert : J’ai tout lâché à 32 ans, en plein mai 68. J’avais envie de participer à cette exaltation collective, j’avais le sentiment qu’on allait changer le monde. Quatorze ans plus tôt avait paru Bonjour tristesse de Françoise Sagan : à 19 ans à peine, elle avait mis en mots exactement ce que je ressentais, elle avait vu que nous étions une génération d’enfants trop sages, sans liberté, sans audace, sans fantaisie. Chez les jésuites, je me sentais perdu au milieu d’un monde archaïque qui ne me correspondait pas. J’ai donc tout lâché, ce que je ne regrette pas plus que d’y être entré.

Horizons : Comment êtes-vous arrivé au Collège ?
Willy Deweert : J’ai d’abord été professeur chez les Pères Franciscains, au Collège Saint-François de Marche-en-Famenne. J’étais alors titulaire de la classe de troisième, tout en assumant les cours de religion et d’histoire en poésie et en rhétorique. En 1972, je suis devenu titulaire de la classe de rhétorique, jusqu’en 1983 où, les 183 élèves de Saint-François ayant été absorbés dans une structure plus grosse, j’ai eu la chance, par l’intermédiaire d’une connaissance commune, d’être engagé par le Père de Decker comme professeur de rhétorique au Collège Saint-Michel. J’y suis resté jusqu’en 1996. J’avais accompli le premier rêve de mon existence.

Horizons : Le second, c’est l’écriture ?
Willy Deweert : Oui. Je peux donc dire que je suis un homme heureux ! (rires) J’ai mis fin à ma carrière dans l’enseignement à 60 ans afin de me consacrer à l’écriture. Tout a commencé de manière très confidentielle, avec un essai présentant mes convictions éducatives et pédagogiques (Éduquer pour l’éternité, 1991) et un essai sur l’indécente perversion des valeurs actuelles (La tunique de Nessos, 1995). Puis, en 1998, j’ai connu le coup de bol qui a lancé la machine : j’étais l’invité d’un débat télévisuel sur le thème : « Dieu est-il de gauche ? », animé par Paul Germain. Je lui avais remis le manuscrit des Allumettes de la sacristie, que je venais d’achever. Il l’a lu et ça lui a plu. À l’issue du débat, il a en effet levé le carnet et il a prononcé ces mots : « Je l’ai lu cette nuit, c’est passionnant. Manuscrit cherche éditeur. » Quelques mois plus tard, je faisais 30 000 exemplaires chez Desclée de Brouwer.

Horizons : Et ensuite ?
Willy Deweert : Ensuite, ce sont quelques ouvrages au tout début des années 2000, la feuille blanche pendant près de dix ans et Le Manuscrit de Sainte-Catherine en 2010, traduit en italien chez Rizzoli, l’éditeur d’Umberto Eco, et Le Maître de la vigne qui vient de paraître. J’ai promis de ne pas céder au vice d’Amélie Nothomb : un roman par an, c’est trop. Mais je n’ai pas résisté : je me suis déjà attelé à l’écriture du prochain… Le titre est encore provisoire !

Horizons : Votre éditeur vous présente comme l’inventeur du thriller mystique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce genre nouveau ?
Willy Deweert : Le thriller mystique met en scène un héros qui, confronté à des péripéties violentes et angoissantes, sent en lui l’appel d’une vie intérieure. Le héros cherche quelque chose, peut-être Dieu, et au cours de cette quête, il est initié à la vie intérieure par l’expérience mystique. Il s’agit donc d’un thriller de facture classique, mais dont le héros est travaillé par des questions d’ordre spirituel.

Horizons : Rien à voir avec Dan Brown ?
Willy Deweert : Rien du tout. Chez Dan Brown, il y a seulement un décor ésotérico-religieux, mais les personnages ne sont aucunement confrontés à la découverte de leur intériorité. À la limite, on pourrait plutôt rapprocher le thriller mystique de ce qu’écrivent Frédéric Lenoir ou Éliette Abécassis.

Horizons : Pourquoi écrire des thrillers mystiques ?
Willy Deweert : Les gens ne prient plus, ne posent plus d’actes religieux, ils n’ont plus de vie intérieure. Qui médite encore sur un passage de l’Évangile, le plus beau texte du monde ? J’ai choisi le thriller parce que c’est un genre plaisant, abondamment lu. Je ne suis pas là pour passer un message, mais pour présenter un héros habité par le divin. Dieu est à la fois transcendant et immanent : les héros de mes romans ont ces petites impulsions que j’ai pu parfois ressentir moi-même, cette chaleur qui nous guide dans une situation bloquée. Ils sont des gens quelconques, souvent incroyants, voués à une existence sans épaisseur. Et soudain quelque chose les tire de leur quotidien. Mon but, c’est de ramener les gens à l’intérieur d’eux-mêmes : il y a là quelque chose, une petite lumière qu’on ignore à cause d’un monde matérialiste, people, sensationnaliste. Les gens sont dévoyés de leur vie intérieure.

Horizons : Et que trouve-t-on à l’intérieur ?
Willy Deweert : La liberté. Le vrai sens d’autrui, loin des regards superficiels que l’on pose quotidiennement sur nos semblables. Je me trompe peut-être, Dieu n’existe peut-être pas mais s’Il existe, c’est en nous qu’il existe. Il ne faut pas nécessairement croire en Dieu pour être un homme intérieur. J’espère parler à tous, sans distinction de religion. Mes romans sont en 4D : j’y ajoute la dimension de la transcendance. Je pose quelques questions, pour aider à trouver du sens.

Horizons : Dans « Le Maître de la vigne », vous déployez de nombreuses connaissances techniques sur la peinture et la restauration de tableaux. D’où vous viennent-elles ?
Willy Deweert : Outre un excellent ouvrage sur la restauration de tableaux, j’ai sollicité l’aide précieuse d’une amie de ma fille, Gaëtane Jacques, restauratrice de profession, qui a relu tout le manuscrit, a corrigé les erreurs, m’a donné des tuyaux. J’ai également interrogé mon médecin pour pouvoir décrire avec précision les symptômes du cancer. Et puis il y a Google, la bible des écrivains. Moi qui déteste voyager, j’y trouve mon bonheur.

Horizons : Avez-vous des rituels d’écriture ?
Willy Deweert : Pas vraiment. Je travaille en écoutant du chant grégorien, je corrige toujours au porte-plume les premiers jets tapés à l’ordinateur, j’allume souvent une bougie. Rien de très précis. Le seul vrai rituel, c’est de relire à voix haute ce qu’on a écrit. On entend immédiatement lorsque ça sonne faux. Il faut avoir le courage de saborder une phrase qui ne convient pas, même si elle est belle. Il ne faut pas être trop long non plus, pour ne pas lasser. Quatre ou cinq amis relisent mon manuscrit, en plus de mon éditeur avec qui je m’entends très bien. L’abbé Ringlet me donne des conseils. Il faut avoir des points de repère. Écrire n’est pas toujours un plaisir : il y a des périodes d’enthousiasme mais aussi de découragement. Parfois j’ai envie de tout flanquer par la fenêtre, et on n’en parle plus.

Horizons : Et la critique ?
Willy Deweert : Les critiques justes, c’est difficile mais constructif. Les critiques des jaloux, il faut apprendre à passer outre.

Horizons : Comment concevez-vous l’intrigue de vos romans ?
Willy Deweert : Je ne travaille jamais sur plan. Je retourne en arrière, je reprends, je réécris, j’avance en voyant toujours si ça s’emboîte, je fais des aller-retour constants, sans savoir où je vais, quel est mon point final. L’essentiel, c’est de se rappeler qu’un roman est comme une machinerie. Rien ne doit être superflu, tout doit être nécessaire et s’emboîter comme un engrenage.

Horizons : Vous qui avez étudié et enseigné la littérature, ressentez-vous parfois, en tant qu’écrivain, un complexe d’infériorité par rapport aux géants que vous avez côtoyés ?
Willy Deweert : Oui, mais c’est sans doute le propre de tous les écrivains, il faut passer au-dessus. Cela me rappelle une anecdote : je faisais une partie de tennis avec un ami médecin. Il rate bêtement une balle et s’exclame que Björn Borg ne l’aurait jamais manquée. Je lui rétorquai que Björn Borg n’était pas médecin. C’est la même chose en littérature : j’écris des choses que d’autres n’ont pas écrites, avec un style qui est le mien, inférieur au style de Dostoïevski sans doute, mais qui n’en est pas mauvais pour autant. L’important c’est d’être soi-même.

Horizons : Revenons à votre carrière à Saint-Michel. Quel professeur étiez-vous ?
Willy Deweert : J’ai toujours eu trois grands principes : la discipline, l’humour et l’excursus. Tout en exigeant le silence absolu, j’ai beaucoup ri en classe, parfois jusqu’aux larmes, et surtout, j’ai abondamment pratiqué l’excursus : quelle que fût la matière enseignée, je parvenais toujours, par l’excursus, à revenir à mes élèves, à leurs problèmes, à leurs inquiétudes, à leurs souffrances, à leur avenir… J’enseignais par la matière, et j’éduquais par l’excursus. Il m’a toujours paru primordial de former des hommes et des femmes : pas seulement une tête bien pleine, mais une âme interpellée. Finalement, ma mission d’enseignant a été identique à mon travail de romancier, j’ai simplement élargi mon auditoire : aujourd’hui comme hier, je veux éveiller des êtres humains. Mes deux rêves étaient complémentaires.

Horizons : Quand est né votre rêve de devenir écrivain ?
Willy Deweert : À 17 ans, en lisant Le Grand Meaulnes. Et j’ai publié mon premier livre à 55 ans. Horizons : Comment se sent-on à 17 ans, quand on lit Alain-Fournier et qu’on rêve d’écrire ? Willy Deweert : On se sent mal dans sa peau, d’abord. Et puis on ne sait pas, mais on s’en fout. À bientôt 75 ans, je ne sais toujours pas mais mon ignorance est devenue farouchement interrogatrice : je cherche frénétiquement des réponses, je veux savoir pourquoi. À mesure qu’on avance en âge, ce pourquoi devient de plus en plus métaphysique : on a l’impression d’être le dindon de la farce, que quelqu’un joue avec nos pieds et c’est humiliant.

Horizons : Vous pensez à la mort ? Willy Deweert : Oui, avec sérénité. Ou bien il n’y a rien, ou bien il y a quelque chose et cela ne peut être qu’extraordinaire. On n’a rien à perdre, tout à gagner. Si Dieu existe, nous sommes éternels. Ce Dieu-là, il vaut la peine d’être connu. Voilà un peu le sens de ce que j’ai tenté d’enseigner à mes élèves, je pense que ça a porté ses fruits. J’ai toujours estimé qu’un professeur ne devait pas seulement être une valise pleine de connaissances, mais bien plutôt une balise dans une existence.

Horizons : Une devise pour terminer ?
Willy Deweert : Non, pas de devise, un mot plutôt : espérance. Je crois à la résurrection, c’est une chose que je me dis souvent. C’est cela pour moi, le sens de la vie que l’on recherche tant : la résurrection et, au bout, la rencontre avec Dieu.

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