Adrien van den Branden (ads 1915) : le magistrat aux résistances multiples
Horizons : Alain Deneef (Ads 1978) poursuit pour nous sa série de portraits d’anciens élèves, tirés du riche répertoire des anciens du collège Saint-Michel qui se sont fait un nom dans les domaines les plus divers.
Adrien van den Branden de Reeth (ads 1915) : le magistrat aux résistances multiples
Le baron Adrien van den Branden de Reeth, né à Watermael-Boitsfort, le 8 juin 1899, et mort à Uccle, le 26 juillet 1980, fut magistrat, résistant et ministre.
Aîné d’une fratrie de huit enfants, il était le fils de Raymond van den Branden de Reeth, avocat général à la cour d’appel de Bruxelles.
Il entre au collège Saint-Michel en 5e latine en 1910. Il en sort en rhétorique en 1915. En poésie, en 1913-1914, il fait partie du cercle missionnaire, de la conférence Saint-Ignace de la Saint-Vincent de Paul et il est assistant de la congrégation de l’Immaculée Conception. C’est au collège Saint-Michel qu’il fera preuve pour la première fois d’un esprit de résistance qui ne se démentira plus. Dans ce collège, lors de la Première Guerre mondiale se conçoit la Libre Belgique clandestine. Les élèves sont nombreux à la distribuer. Adrien est de ceux-là, tout comme son frère cadet André, qui le suit de deux ans au collège. Il sera arrêté et condamné pour ces faits en 1916 à plusieurs mois de prison. Ayant décidé en 1917 de rejoindre l’armée belge en fuyant par la Hollande, il est arrêté en tentant de franchir la frontière néerlandaise à Mouland. Il est interné dans différents camps allemands pendant 16 mois.
Revenu de captivité, il étudie le droit et entre sur les traces de son père dans la magistrature. Il est substitut du procureur du Roi d’Anvers en 1923, puis occupe le même poste à Bruxelles en 1924. Il est premier substitut du procureur du Roi en 1935 et substitut du procureur général en décembre 1937. Marié à Marie-Madeleine d’Huart, il a avec elle huit enfants. Quand la guerre éclate, sa famille s’enfuit en France, mais lui reste à son poste. Il est nommé procureur du roi faisant fonction à Nivelles, avant de récupérer son poste d’avant-guerre en mars 1941.
Sous l’occupation, il est un des rares magistrats à intégrer le Front de l’Indépendance (FI). Il est d’abord distributeur de Justice Libre, organe clandestin de la section juridique du FI. Celui-ci fustige la timidité et les faiblesses de la magistrature face à l’Ordre nouveau. Mais van den Branden de Reeth va plus loin. Il rédige un réquisitoire enflammé qu’il tient devant la Cour de cassation le 1er octobre 1942, dans lequel il conteste publiquement la légalité de certains arrêtés des secrétaires généraux nommés par l’occupant. Il y dit notamment que : « les secrétaires généraux des départements ministériels délibérant en collège ne sont pas habilités à prendre des dispositions ayant force de loi ». Il dénonce par ailleurs un arrangement illégal dans le chef de la Cour de cassation qui rendait possible l’abus de pouvoir des secrétaires généraux.
Il est d’abord suspendu de ses fonctions de magistrat par le Procureur général Collard, puis est arrêté le 10 janvier 1943 et enfermé comme otage à la citadelle de Huy jusqu’au 20 février avec 25 autres avocats et magistrats récalcitrants. À partir du mois d’avril 1943, il collabore à la rédaction de Justice libre, puis prend la relève du rédacteur en chef après l’arrestation de celui-ci. Il se retrouve ainsi propulsé comme un des responsables de la presse et de la propagande de la zone 5 (Bruxelles-Brabant) du Front de l’Indépendance, participant à la rédaction des journaux Front et Libération et organisant la propagation de ces journaux, et des tracts et pamphlets de l’organisation.
Devenu compagnon de route des communistes, il sera l’un des rédacteurs du Faux Soir, haut fait de la résistance communiste. Avec trois autres auteurs, il rédige les articles de ce petit chef-d’œuvre d’humour tournant en ridicule l’occupant. Il rédige notamment Anniversaire, dont il attribue la signature à Raymond De Becker (rédacteur du Soir volé), le feuilleton Le mystère de la chambre brune, signé G. Stapo, Stratégie efficace qui ridiculise la propagande allemande au sujet de la guerre en Russie ou Un fait entre mille, dans lequel il s’en prend aux affiches de la Propaganda Abteilung. Si la sortie du Faux Soir, paru le 9 novembre 1943 et tiré à 60.000 exemplaires, est un coup d’éclat, elle entraîne l’arrestation de 17 personnes et coûte la vie à cinq d’entre elles. Adrien van den Branden de Reeth ne sera pas inquiété.
A la Libération, il sera quelque temps le secrétaire national du Front de l’Indépendance. Proche de l’Union démocratique belge (UDB), dont il ne sera jamais membre, il devient ministre des Victimes de la Guerre dans le deuxième gouvernement Van Acker (coalition de socialistes, libéraux, communistes et de l’UDB), du 2 août 1945 au 9 janvier 1946. De manière assez remarquable, son chef de cabinet est un leader communiste notoire, Xavier Relecom. Le gouvernement étant tombé, il se présente aux élections à la Chambre où il est 4e sur les listes de l’UDB pour l’arrondissement de Bruxelles, mais recueille à peine 320 voix et n’est pas élu. Après cette brève parenthèse ministérielle et électorale, il réintègre la magistrature et devient avocat général en mars 1946.
Mais il aura encore l’occasion d’ « entrer en résistance »[1]. Car, motivé par une véritable aspiration pacifiste, appuyée sur un refus de rupture avec l’URSS, allié de la guerre, il s’engage « dans ce qui se baptise alors, dans ce camp, « la lutte pour la paix » et qui se cristallise autour de l’appel de Stockholm, le refus du réarmement allemand et surtout l’opposition au Traité de l’Atlantique Nord. » (…) C’est ainsi que van den Branden de Reeth intègre le Conseil national de l’Union Belge pour la Défense de la Paix, branche belge du Conseil Mondial de la Paix, aux côtés de quelques grands bourgeois libéraux, de chrétiens comme le baron Antoine Allard (sorti de Saint-Michel en 1926) et de nombreux sans parti. Contrôlée au plan mondial par l’URSS, l’organisation l’est en Belgique par le PCB. Par ailleurs, le groupe clandestin Justice Libre s’est mué à la Libération en Renaissance Judiciaire qui a suscité l’adhésion de quelques grands noms du monde juridique belge et s’attache à étudier diverses questions de droit et de réforme de la justice. Renaissance Judiciaire s’affilie à l’Association Internationale des Juristes Démocrates et organise son congrès international à Bruxelles en 1947, sur le thème « Le droit au service de la Paix » (…). Van den Branden de Reeth en est Vice-Président et préside la section belge, même après sa désaffiliation de l’organisation internationale intervenue en juillet 1949. A l’AIJD, van den Branden de Reeth côtoie de grands noms comme Lyon-Caen, président à la Cour de cassation française ou Pierre Cot, ancien ministre du Front Populaire.
L’affaire van den Branden de Reeth démarre au lendemain d’un congrès de l’Union belge pour la Défense de la Paix (UBDP) suivie par des «Assises de la Paix» tenues au Cirque Royal le 16 octobre 1949. La gendarmerie signale sa présence à la tribune du congrès et deux journaux y font écho. Dès le 18 octobre, le Procureur général Camille Pholien (sorti du vieux collège Saint-Michel en 1896) lui enjoint de justifier « la présence d’un magistrat à une manifestation de ce genre ». C’est le début d’un affrontement de 17 mois qui témoigne de l’acharnement mis de part et d’autre à obtenir la démission des organisations en question et de sanctionner les refus d’un côté, à refuser de céder sur le principe de la légitimité et la légalité des actes posés de l’autre. (…) L’injonction de démissionner non seulement des fonctions occupées mais de l’adhésion à l’UBDP et à l’AIJD formulée dès la fin de 1949 est qualifiée « d’excès de pouvoir » par van den Branden de Reeth. Mais la conviction affirmée par Pholien « qu’il est interdit à tout magistrat de s’affilier à des associations politiques », soumise au ministre libéral Albert Lilar se voit contredite par celui-ci au cours d’un entretien avec le Procureur général le 16 février 1950, après que ce dernier ait reçu van den Branden de Reeth. Le ministre précise néanmoins que le magistrat doit s’abstenir de toute participation à l’action de ce parti. Albert Lilar avait par ailleurs autorisé l’avocat général à se rendre en septembre1949 au congrès de l’AIJD à Rome dont il présida les séances « avec impartialité et neutralité » comme le déclara au procureur général l’observateur dont il avait sollicité un rapport. L’œil du procureur général à Rome soulignait toutefois le caractère éminemment politique, « à l’encontre des buts politiques de la Belgique », des résolutions de l’AIJD.
Dès l’entrée en majorité absolue du PSC, le procureur général repart à l’assaut, fournissant au nouveau ministre de la Justice un rapport de 14 pages sur le cas van den Branden de Reeth « qui le préoccupe au plus haut chef » et demande une entrevue « dans le plus bref délai possible. » Avec cette fois l’appui manifeste de son ministre (Romain Moyersoen) dans le cabinet présidé par son frère Joseph Pholien (sorti de l’ancien collège Saint-Michel en 1901), et malgré une réfutation systématique de van den Branden de Reeth des griefs portés à son encontre, Camille Pholien lui donne connaissance le 18 décembre de l’ordonnance qui le sanctionne d’une « peine de censure avec réprimande emportant de droit privation de traitement pendant un mois ». Les motivations formulées sont :
– l’adhésion à des organisations qui apportent leur soutien à une politique étrangère qui va à l’encontre de celle choisie par la Belgique, notamment l’adhésion au Pacte Atlantique;
– comme magistrat il ne peut donner prise à des critiques qui altéreraient son indépendance (comme preuve les critiques émises par la presse à l’encontre de sa participation au Congrès de l’UBDP);
– le refus de démissionner ;
– le décuplement de son activité AIJD en 1950 (des conférences) et in fine, le manque de déférence due à son chef hiérarchique.
Adrien van den Branden de Reeth assimile ces griefs à la soumission obligatoire à une « vérité d’Etat », alors que rien n’interdit constitutionnellement les citoyens d’exprimer leur opposition à une loi. Il réfute explicitement tout manquement aux lois de sa part et a beau jeu d’arguer de sa qualité de résistant et d’ancien ministre. Son projet de lettre de démission, évidemment refusée par le Procureur général, fait montre de son humour et de son esprit de rébellion : « Je me résous douloureusement à m’incliner, sensible à l’atteinte qui est ainsi portée à travers ma personne, à la fois à la liberté d’association, constitutionnellement garantie à tous les Belges, et à l’UBDP. Je reste fidèlement de cœur avec vous dans l’œuvre courageuse que vous poursuivez avec un succès grandissant. On ne désarme pas les combattants de la paix. »
De plus, comme il l’avait confirmé après avoir été reçu par le ministre et avoir consulté le Premier avocat général à la Cour de Cassation, Raoul Hayoit de Termicourt (sorti du nouveau collège Saint-Michel en 1910), s’il a accepté de démissionner des fonctions dirigeantes à l’UBDP, il n’en va pas de même avec celles exercées à l’AIJD. Rien dans les arguments avancés par Hayoit ne l’a convaincu de donner sa démission des associations en cause. Dès lors Camille Pholien l’avertit ce même 18 décembre que s’il persiste dans ses intentions au-delà du 15 février 1951, il se verra contraint de proposer au ministre de la Justice de lui appliquer une peine disciplinaire plus grave. Finalement, après une injonction formelle formulée par Pholien en janvier, van den Branden de Reeth abandonne, le 9 février 1951, toutes ses fonctions dirigeantes mais maintient ses affiliations. Le 16 février, le Procureur général transmet au ministre la demande de sanctions aggravées. Mais l’affaire restera sans suite. Il finit sa carrière comme premier avocat général en 1964 et est admis à la retraite en octobre 1966.
Il sera reconnu dans les années 50 comme prisonnier politique et résistant civil et par la presse clandestine. Il sera également fait commandeur de l’ordre de Léopold, commandeur de l’ordre de Léopold II, grand officier de l’ordre de la Couronne et recevra la croix civique de 2e classe 1914-1918, la croix de guerre 1940 avec palme et la médaille de la Résistance.
Resté attaché à son collège, il est un des fondateurs de l’Association des anciens élèves du collège Saint-Michel en 1929, dont il deviendra le président de 1934 à 1938.
Sur lui, voir les textes dont s’inspirent largement et librement les lignes qui précèdent :
Archives générales du Royaume, Ministère de la Justice, Secrétariat général, Dossiers des magistrats, 2461, Dossier disciplinaire du baron Adrien van den Branden de Reeth.
Archives générales du Royaume, Tribunal de première instance de Bruxelles, Dossiers politiques, 156, Dossier concernant le baron van den Branden de Reeth.
Centre d’Etudes et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines, Raspoet, Erik, Biografie van Baron Adrien van den Branden de Reeth, Gent, RUG, 1985, BA 10.370/14.
Centre d’Etudes et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines, Archives, Archives sonores, Interviews réalisées par des chercheurs, Interviews réalisées par Jean Vanwelkenhuyzen, Interview concernant la Presse – Faux Soir, 12/12/1978-20/12/1978, interview avec Baron Adrien van den Branden de Reeth, s.l., en français, Transcription de l’interview de baron Adrien van den Branden de Reeth, 09/03/1989-10/03/1989 [papier], 20 p., dact, AA 2268/647.
Commission de l´historique de la Résistance, Le livre d’Or de la Résistance Belge en 1940-1945 · Héros et martyrs belges fusillés en 1940-1945 · Les résistants belges morts en 1939-1945, Bruxelles, Ministère de la Défense Nationale, 1948, pp. 56 et 69.
Coomans de Brachène, Oscar-Émile et de Marnix de Sainte Aldegonde, Humbert, Etat présent de la noblesse du royaume de Belgique. Bruxelles, Troisième série, 36 vol., 1984-2002.
Direction générale des Victimes de Guerre, Dossiers ‘statut’ et ‘personnel’ (dossier Adrien van den Branden de Reeth : PP 121781/4833, PC 601684/10534 et RC 725685/38988).
d’Udekem d’Acoz, Marie-Pierre, Pour le Roi et la Patrie – La noblesse belge dans la Résistance, Bruxelles, Editions Racine, 2002, pp. 442-444.
Gotovitch, José, « Un procès en Guerre froide : le chemin torturé du conseiller Buch », Centre des Archives communistes en Belgique, 2011, pp. 11-13. [En ligne]. <http://www.carcob.eu/IMG/pdf/proces_henri_buch.pdf> (Consulté le 10 avril 2017).
Van Molle, Paul, Het Belgisch Parlement, 1894-1972, Antwerpen, 1972.
[1] Nous nous inspirons largement pour cet épisode sur la relation qu’en fait José Gotovitch dans son article : Gotovitch, José, « Un procès en Guerre froide : le chemin torturé du conseiller Buch », Centre des Archives communistes en Belgique, 2011, pp. 11-13. [En ligne]. <http://www.carcob.eu/IMG/pdf/proces_henri_buch.pdf> (Consulté le 10 avril 2017).