Témoignages de nos Anciens
En ces temps reculés, l’enseignement primaire et le secondaire étaient unisexes, garçons et filles fréquentaient des établissements distincts.
De même pour les mouvements de jeunesse.
C’était le cas à Saint-Michel ; tout l’enseignement était farouchement masculin et même dans des emplois tels que les soins d’infirmerie traditionnellement confiés à des mains de femmes, on se retrouvait entre hommes et personne ne s’en étonnait.
Cela me permet aujourd’hui de raconter les astuces que nous utilisions pour apprendre à mieux connaître ce monde féminin qui nous faisait rêver et qui nous attendait dans un futur plus ou moins proche.
Deux noms féminins nous étaient familiers : “Vierge Marie” et “Maman”.
La Vierge Marie écoutait nos prières, était la médiatrice de toutes les grâces et donnait à notre religion catholique un côté humain accentué. Les Pères jésuites nous conduisaient sur les sentiers de la piété mariale et je me souviens des cérémonies où, dans l’église, nous égrenions longuement les Vêpres de la Vierge avec tous ses qualificatifs latins : « Turis eburnea », Tour d’ivoire …C’était une introduction à la tendresse pour les plus pieux d’entre nous et pour les autres, une acquisition de vocabulaire latin.
Nos mères étaient aussi pour beaucoup d’entre nous celles qui pourvoyaient avec ponctualité à nos besoins…En ces temps de guerre, cette tâche était lourde et demandait beaucoup d’ingéniosité dans la gestion des timbres de ravitaillement, de textile et d’autres nécessités du quotidien.
Mais pour en savoir plus sur la moitié féminine de l’humanité, où se trouvaient donc nos sources ?
Parmi nous, il y avait des gars qui avaient des sœurs à la maison. C’étaient une chance pour eux car cela leur fournissait une connaissance bien plus proche du monde féminin. Sachez cependant, que les copines de vos sœurs vous procuraient plus d’ennuis si vous aviez quelques frictions avec elles que les sœurs de vos copains.
Rassurez-vous, nous étions sages et nous savions que les “bornes ont des limites “.
Toujours parmi nous, il y avait des gars que nous surnommions des ”cœurs de beurre” qui fondaient à la vue de la jupe d’une collégienne. Ils se rendaient pendant la pause de midi à l’arrêt des trams du rond-point Saint-Michel (aujourd’hui Square Montgomery). Les directions respectives de nos établissements avaient beau avoir décalé les horaires des sorties réciproques pour éviter de telles rencontres, mal vues des autorités et moquées par les camarades de classe, cela ne freinait guère les plus entreprenants.
Collège unisexe ? Pas tout à fait !
Parmi les sujets abordés au sein même du collège, nous avions des exemples littéraires d’amours à la fois tragiques et grandioses : le tragédien Corneille nous donnait un bel exemple de ce qu’une femme peut dire et faire quand elle est amoureuse.
Quand Camille a vu revenir du combat son frère Horace, avec à la main l’épée sanglante qui venait de tuer son amant Curiace, le poète lui a prêté une tirade qui m’a laissé pantois d’admiration.
Rome à qui ton bras vient d’immoler mon amant
Rome que je hais parce qu’elle t’honore…
Encore huit ou dix autres vers en crescendo de fureur et l’affaire se termine tragiquement pour Camille dont le sang se mêle à celui d’Horace sur l’épée de son frère. Nouveau drame familial mais….
….Quel panache dans ces imprécations ! Même si, sur la scène du théâtre, la tempétueuse Camille n’était qu’un gars du collège. On fait avec ce que l’on a…
Nous avons aussi beaucoup apprécié la scène de l’Odyssée où Nausicaa, quittant le palais paternel avec ses compagnes pour laver du linge dans le courant d’une onde pure, (elle était donc loin d’être une pimbêche, quoique fille de roi), trouve gisant sur le rivage, Ulysse, naufragé après une tempête homérique, le recueille, le dorlote, le conduit chez Papa-Maman et fait tout ce qu’il faut pour le remettre sur pied et qu’il puisse repartir auprès de son épouse Pénélope qui l’attend fidèlement…
D’ailleurs, cette fidèle Pénélope avait la conviction que son marin de mari n’était pas mort et qu’il allait tôt ou tard revenir au port.
C’est ça, l’intuition féminine !
Voyez comme cette histoire s’emboîte bien !
Je continue en expliquant que Pénélope qui avait pas mal de prétendants la croyant veuve, répondait paisiblement à leurs sollicitations : ”Je n’envisagerai de me remarier que lorsque j’aurai fini de tisser ce grand ouvrage”. Chaque nuit, la rusée défaisait l’ouvrage de la veille. Cet épisode homérique se termine par une histoire d’arc bandé qui permet à Pénélope de reconnaître son mari parmi tant d’autres prétendants bien plus freluquets.
Il y avait encore, pour celui qui osait braver les censures refusant aux lecteurs innocents l’accès à certains textes bibliques, ce très radieux ”Cantique des Cantiques” qui est un dialogue amoureux remontant au temps du Roi Salomon. Plus tard, des exégètes ont tenté de nous expliquer que cette œuvre exprimait l’amour de Dieu pour sa création. Mais nous, qui avions alimenté notre imagination sur ces propos clandestinement dégustés, nous préférions attendre un ‘‘plus tard’’ avant de revivre d’une manière personnelle des situations identiques à celle de ce cantique.
Nous pouvions en trouver l’exact contre-pied dans certains textes, comme la plainte de Polyeucte, auquel Racine a prêté sa plume :
Source délicieuse, en misères féconde,
Que voulez-vous de moi, flatteuses voluptés ?
Était-ce cela le fin mot de notre initiation sexuelle reçue au collège en ces temps anciens ? Que conclure de ces approches contrastées ? Étions-nous sans vision précise de notre situation face à cette problématique ?
Heureusement non ! Un de nos titulaires nous avait un jour énoncé une évidence qui m’a profondément impressionné, moi, certainement, et mes camarades sans doute : « Songez bien qu’il existe dès à présent quelque-part une jeune fille qui vous attend, qui ne vous connaît pas, que vous ne connaissez pas et qui vous est destinée selon le dessein de la Providence. Réservez-vous pour elle… »
Cela m’a paru infiniment plus concret et actuel que les amours tourmentées de ce vieux Polyeucte.
Cette parole n’était pas de l’initiation sexuelle ”stricto sensu” mais quel beau soutien pour encore quelques années de patience !
Enfin, au moment où nous allions quitter définitivement notre adolescence et notre Collège, nous avons été invités à participer à une retraite où se posait le dilemme : célibat ecclésiastique ou fonder une famille ? Là, je n’ai aucun souvenir de ce qui s’y fut dit qui ait été déterminant pour mon choix.
Mais nous avions aussi dû entendre les paroles prétendument humoristiques de notre professeur de rhéto, qu’il nous assénait du haut de son grand âge :
“Doux mots avant, grands mots pendant, gros mots après”. L’embarquement pour Cythère comportait donc des risques !
Je dois donc conclure que notre milieu éducatif a, d’une manière générale, et malgré de prudents discours, été respectueux de nos choix de vie.