Portrait de Laurent Salmon-Legagneur : un jeune Jésuite entre Saint Michel et Matteo Ricci

Horizons : Laurent Salmon-Legagneur, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Laurent S-L : J’ai 33 ans et je suis originaire de Paris où j’ai passé la majeure partie de ma jeunesse. J’ai une identité composite plutôt que proprement « parisienne ». En effet, une partie de ma famille est originaire du Nord de la France et j’ai également des racines américaines. Ma scolarité dans le secondaire s’est passée dans un collège jésuite à Paris : Saint Louis de Gonzague. Par la suite, j’ai étudié la géologie dans une école d’ingénieur avant de commencer une carrière d’enseignant. Deux ans après, en 2012, je suis entré dans la Compagnie de Jésus. 

Horizons : Comment êtes-vous devenu jésuite ?

Laurent S-L : Cette vocation s’est faite particulièrement sentir au moment de mon entrée dans la vie professionnelle. Ce fut une maturation tranquille sur plusieurs années, mais rien de spectaculaire. J’ai d’abord cherché un peu du côté de la vocation de prêtre diocésain, mais je me suis rapidement senti beaucoup plus appelé vers la vie religieuse. L’élément déterminant a été l’attrait que j’ai ressenti pour la spiritualité ignatienne et le fruit spirituel que j’ai trouvé dans la découverte des Exercices Spirituels de St Ignace, dont j’ai fait l’expérience pour la première fois un an et demi avant d’entrer au noviciat. J’avais également un attrait de longue date pour l’enseignement, conformément à la direction professionnelle que j’avais prise. La décision d’entrer chez les Jésuites s’est donc faite sur base d’un triple discernement : un appel à une vie consacrée dans un ordre religieux, une entrée en résonnance avec la spiritualité ignatienne et mon goût éprouvé pour l’enseignement.

Horizons : Quel est le quotidien d’un « jeune » jésuite ?

Laurent S-L : Ma vie est pour l’instant beaucoup connotée par les étapes de la formation. Près de 8 ans après l’entrée au noviciat, je termine actuellement ma 1e année en régence. La régence est une étape pratique de la formation qui contraste avec la formation académique, ce sont 2 années d’expérimentation d’une première mission au sein d’une œuvre jésuite. Avant et après la régence, ma formation comme jésuite était et sera encore marquée par le rythme très particulier de la formation académique.

Pendant la formation, nous sommes amenés à changer de situation et de communauté bien plus souvent que par la suite : on avance par blocs de 2 ans maximum, et il est rare de pouvoir se projeter de manière nette dans une perspective à plus long terme. Depuis mon entrée au noviciat en 2012, j’ai déjà été à Lyon, Lille, Paris, Rome, Vanves et Bruxelles. Cela nous apprend concrètement la disponibilité par rapport aux différentes missions où l’on est envoyé pour un temps court seulement.

Horizons : N’est-ce pas une frustration de toujours devoir changer ?

Laurent S-L : On en revient à une question clé dans la spiritualité des Jésuites. A la suite du Christ qui épouse la volonté du Père, il nous faut consentir à l’indifférence, au détachement : notre mission ne nous appartient pas. L’indifférence, le détachement, c’est ce qui me rend le plus disponible possible pour être au service du lieu où il y a besoin de moi. Comment être prêt à répondre pour une mission vis-à-vis de laquelle je ne me sens aucune compétence particulière ?  Comment me rendre complètement disponible pour une mission que je n’ai pas choisie à la base, et dans laquelle je décide de m’inscrire ? Cette disponibilité est un élément fondamental pour comprendre le vœu d’obéissance tel qu’il est vécu dans la Compagnie de Jésus.

A l’écoute des besoins de notre temps, j’accepte de m’inscrire dans un processus qui a déjà été entamé avant moi et qui perdurera après moi. Ma mission à Matteo Ricci correspond à cela : depuis le début, il me faut accepter que je ne suis concrètement associé à cette aventure que pour les 2 premières années de la vie de cette école. Pour beaucoup de nos missions de la période de formation, nous apprenons à trouver rapidement nos marques et anticiper au mieux notre départ.

Horizons : Nous allons brièvement revenir sur la crise sanitaire actuelle. Comment la communauté jésuite ici à Saint-Michel s’est-elle adaptée à cette situation ? Beaucoup de pères, vu leur âge, font partie de la population dite à risque…

Laurent S-L : Nous avons eu de la chance. Nous n’avons pas eu de cas dans la maison. Cela nous a permis d’avoir une vie quotidienne plutôt apaisée, évitant de devoir tous nous confiner individuellement dans nos chambres. Autant le collège était vide, autant la communauté, elle, était plus pleine que jamais. Le confinement m’a permis de vivre un rapport à la communauté complétement différent de celui habituel, que ce soit au niveau de l’Eucharistie, puisqu’on célébrait plus souvent ensemble ; et aussi au niveau des relations fraternelles : j’ai pu passer beaucoup plus de temps avec les membres de ma communauté. 

Nous ne sommes que trois à avoir moins de 60 ans dans la communauté, mais ce n’est pas tant la différence de générations qui colore le quotidien : l’important c’est de s’ajuster et de se rejoindre sur ce que nous désirons vivre ensemble, comme communauté, comme présence et attention fraternelle. Alors, la relation devient facile, qu’on soit nonagénaire, septuagénaire ou trentenaire.

Horizons : Vous résidez à Saint Michel, mais vous donnez cours dans le nouveau collège Matteo Ricci à Bruxelles. Comment avez-vous maintenu le lien avec vos élèves ?

Laurent S-L : Le Père provincial m’a envoyé à Matteo Ricci, et là j’ai dû y faire ma place. Dans le système scolaire belge, il y a évidemment des contraintes administratives avec lesquelles il faut composer, au point que je n’ai pas pu être embauché comme enseignant, vu mon parcours français. Nous avons donc cherché à évaluer, avec la directrice du collège, des lieux où mes compétences pouvaient être librement mises à contribution. J’ai donné cette année un coup de main pour l’enseignement des sciences et de l’anglais. C’est avec cette casquette d’enseignant que je suis présent comme Jésuite pour les élèves et aussi pour l’équipe éducative.

Pendant le confinement, le premier souci de l’école fut de maintenir le lien avec les élèves. Tout en gardant ma casquette d’enseignant de science, c’est surtout le travail comme référent (titulaire) qui a pris une place prépondérante. En fonctionnant par téléphone et visio-conférence, nous avons pu maintenir un lien relativement soutenu avec l’ensemble des élèves de la classe de 2e. Heureusement, nous sommes deux référents par classe, ce qui a permis de fournir l’énergie et le temps nécessaire pour garder un maximum de lien avec l’ensemble des élèves.

En cette 1ère année d’existence du collège, l’équipe éducative a beaucoup travaillé ensemble depuis le début, et le confinement n’a heureusement pas bouleversé cette dynamique. J’ai été très heureux de sentir la complémentarité entre nous durant ces moments : chacun a pu apporter sa sensibilité propre tout en y intégrant l’ensemble de l’équipe éducative. 

Horizons : Comment l’école et les élèves de manière générale vivent-ils cette fin d’année pas comme les autres ?

Laurent S-L : Il y a beaucoup de questions autour de cette fin d’année très particulière : il y a un besoin de pouvoir accompagner les élèves dans cette incertitude-là, des incertitudes qui sont à la fois les leurs et les nôtres. Nous avons invité chaque élève à une relecture de son année, qui lui permette d’aboutir à un « mini contrat » qu’il passe avec lui-même et avec l’école : quelle conscience de mes forces et des défis à relever m’aidera à partir d’un bon pied l’année prochaine ? Cela touche évidemment les matières, mais aussi les capacités d’apprenant (sens de l’effort, autonomie, etc.). Comment moi, élève du collège, j’apprends à me connaître comme élève ?

Cela reste une situation un peu frustrante, car il y a beaucoup d’élèves que nous avons peu vus ; et nous ne pouvons pas non plus célébrer la fin d’année. Néanmoins, ce que je trouve très salutaire c’est que malgré les incertitudes du moment, on se tourne activement vers l’avenir, vers l’année prochaine. C’est une réaction assez saine, même si elle n’est pas facile. Cela montre que nous ne sommes pas complètement bloqués dans notre capacité à nous projeter.

Horizons : Notre entretien touche à sa fin…pour terminer, y a-t-il une citation ou une parole qui vous anime particulièrement ces derniers temps ?

Laurent S-L : « Avance en eau profonde » (Lc 5,4). C’est une invitation à avancer au large, sans savoir exactement vers où, mais on y va avec confiance.

Interview réalisée par Pierre Charles de la Brousse (Ads 2009)

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