Les trois mousquetaires du droit humanitaire
Raphaëlle Godts, Caitlin Moens et Johanne Simo- nart (ads 2008) n’ont pas encore leur diplôme de droit en main qu’elles s’investissent déjà à 100% dans leur matière favorite : le droit international humanitaire (DIH). Cette année, elles ont lancé avec neuf autres étudiants la Cellule DIH de Lou- vain-la-Neuve dont le but est de diffuser ce pan crucial du droit en partenariat avec la Croix Rouge. A une heure du démarrage de leur première acti- vité, c’est avec un enthousiasme communicatif qu’elles nous parlent de leur engagement.
Horizons : Pour les quelques anciens de Saint-Michel comme moi qui n’ont pas fait d’études de juriste, qu’en- tend-t-on exactement par « droit international humani- taire » ?
Johanne Simonart : Le droit humanitaire a pour ob- jectif d’atténuer les effets néfastes de la guerre. On peut distinguer deux parties : le droit qui régit la façon de faire une guerre « propre » et le droit qui protège les civils. D’un côté, le droit humanitaire proscrit cer- taines méthodes de guerre comme l’enrôlement d’en- fants soldats, certaines armes ou munitions… Et d’un autre, il veille à ce que les droits fondamentaux des civils soient respectés.
Caitlin Moens : Les violations du droit international humanitaire sont les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides. C’est la Cour Pé- nale Internationale à La Haye, notamment qui a pour mission de juger les personnes qui ont commis de tels crimes. Début mars, elle a prononcé son premier jugement contre l’ancien chef de milice congolais Tho- mas Lubanga.
Horizons : D’où l’intérêt vous est-il venu pour cette branche du droit en particuliers ?
Johanne Simonart : Nous avons découvert le DIH l’an- née passée en participant au concours de plaidoirie de la Croix Rouge. Il s’agit d’un procès simulé en droit international humanitaire auquel participent toutes les universités francophones de Belgique ou même des universités d’autres pays.
Caitlin Moens : Pour ma part, c’est en travaillant sur mon TFE en rhétorique que j’ai découvert le droit hu- manitaire et c’est en quelque sorte ça qui m’a incitée à commencer le droit. A Namur, nous avions deux professeurs passionnés par la matière qui nous ont, pour ainsi dire, rendues accro. Nous avons préparé le procès de le Croix Rouge tous ensemble, c’était une très chouette expérience.
Horizons : Depuis, vous avez créé la Cellule DIH de Lou- vain-la-Neuve.
Raphaëlle Godts : Oui, la Croix Rouge cherchait dans toutes les universités des étudiants prêts à diffuser le droit international humanitaire auprès des facultés. Ils sont venus faire des annonces dans les auditoires au début de l’année et on s’est tout de suite dit que ça pouvait nous intéresser. Nous avons suivi une forma- tion avec eux, avec notamment suivi des cours sur le DIH. Nous sommes maintenant une dizaine dans la Cellule, tous étudiants en droit. La Croix Rouge nous fournit tout le support technique et financier et nous nous occupons d’organiser des activités pour susci- ter l’intérêt des étudiants de l’UCL.
Johanne Simonart : Nous sommes vraiment un inter- médiaire entre le public estudiantin et la Croix Rouge.
Caitlin Moens : Oui, nous sommes des « diffuseurs de droit humanitaire » (rire) !
Horizons : Quelles sont les activités que vous organisez tout au long de l’année ?
Caitlin Moens : Nos activités sont ponctuelles. Elles étaient surtout concentrées sur le mois de mars où la Croix Rouge a mené une campagne sur le thème des enfants dans les conflits armés. Toutes tournaient autour du thème « Vie ma guerre et mon exil ».
Raphaëlle Godts : Début mars, nous avons d’abord aidé à l’exposition interactive qu’organisait la Croix Rouge sur la Grand Place de Louvain-la-Neuve. L’idée était de montrer le parcours d’un civil avant, pendant et après une guerre : sa vie dans les ruines d’une ville qui était occupée, son passage dans un camp de réfu- giés, ses démarches dans son pays d’exil.
Caitlin Moens : Nous étions réparties dans diffé- rentes tentes et nous expliquions les principes du droit humanitaire d’une façon simple à des classes d’humanité. Tout était le plus interactif possible. Les participants devaient par exemple faire une longue file pour passer la frontière, ils étaient enfermés dans une tente transformée en cellule de prison… Ce fut une vraie réussite. Ce soir (ndlr : le 21 mars), nous diffusons le film EZRA qui retrace la réinser- tion dans la société d’un ex-enfant soldat au Sier- ra-Léone. Après le film, nous organiserons un débat avec Damien Scalia qui est chercheur à l’Académie DIH et DH de Genève. Ensuite demain, nous ferons un nouveau débat avec cette fois-ci des intervenants comme Junior Nzita, un ancien enfant soldat congo- lais, ou Amélie Simon, une psychologue spécialisée dans le traitement des traumatismes. Après cette semaine, nous allons aussi organiser une visite de la Cour Pénale Internationale à La Haye.
Horizons : Vous étiez-vous déjà impliqué dans le travail humanitaire auparavant ?
Caitlin Moens : Oui, Johanne et moi nous sommes parties trois semaines au Congo après notre rhéto avec l’association « En avant les enfants ». Nous étions tout un groupe d’anciens saint-michelois. De- puis ce voyage, nous continuons à nous investir dans le projet en récoltant des fonds pour payer le miner- val d’étudiants congolais. Nous sommes devenus une asbl, le « Fonds Ngangi ».
Raphaëlle Godts : Je suis partie un mois au Ghana après ma troisième bac. J’ai d’abord travaillé dans une ONG sur différents projets tournant autour des droits de l’homme. Puis, j’ai travaillé dans un bureau d’aide légale. C’est un bureau qui fournit des conseils juridiques gratuits à des personnes qui ont des pro- blèmes, que ce soit des ennuis de voisinage ou une demande de divorce. Ils essayent de régler un maxi- mum de conflits via la médiation. Le travail était là beaucoup plus social car j’étais en contact direct avec les habitant.
Horizons : Et avez-vous envie de retourner sur le terrain ?
Raphaëlle Godts : Oui, sans hésitation ! Mon expé- rience au Ghana m’a juste donné envie de repartir. Même si je veux vivre en Belgique, je trouve très im- portant de voir autre chose et d’aider sur le terrain et j’adore voyager.
Horizons : Pourquoi est-ce important pour vous de pro- mouvoir le DIH ?
Raphaëlle Godts : Car c’est un pan du droit qui n’est pas encore du tout assez développé et connu alors qu’il est capital ! La Cour Pénal Internationale a éte créée il y a déjà dix ans et, comme Caitlin l’a déjà dit, elle n’a rendu son premier jugement que cette année. Tout est très lent et délicat car le droit humanitaire touche à la souveraineté des états. Par exemple, les Etats-Unis ne reconnaissent toujours pas la compé- tence de la Cour Pénale Internationale !
Johanne Simonart : C’est aussi une façon de s’impli- quer dans la vie humanitaire tout en gardant le côté juridique qui nous intéresse. J’ai toujours rêvé de tra- vailler dans une ASBL et j’adore le droit. C’est donc une très belle association des deux.
Horizons : L’année prochaine, vous terminerez toutes les trois vos études en droit. Allez-vous alors arrêter votre engagement ?
Raphaëlle Godts : Non. Toutes les trois, nous aimerions bien prolonger et devenir vraiment volontaires à la Croix Rouge. Pour le moment, nous sommes simple- ment en partenariat avec eux mais nous n’avons pas le statut de volontaire.
Johanne Simonart : En intégrant la Croix Rouge, nous recevrions alors encore différentes formations et notre mission serait de diffuser le droit humanitaire à l’aide d’outils pédagogiques à des plus jeunes.
Horizons : Et voudriez-vous en faire votre métier ?
Caitlin Moens : Pour le moment, nous faisons déjà toutes les trois notre mémoire sur le DIH (rire). En- suite, Raphaëlle et moi nous envisageons de faire un master complémentaire sur cette matière pour tra- vailler après soit dans une ONG, soit dans un cabinet d’avocats.
Johanne Simonart : Personnellement j’aimerais commencer directement entant qu’avocate. Mon rêve serait évidemment de travailler à la Cour Pénale In- ternationale mais c’est assez difficile d’y arriver. Je me tournerais donc plutôt vers le droit des étrangers qui me permettrait d’avoir un contact avec les réfu- giés ou le droit pénal qui a aussi un rapport avec le droit humanitaire.
Horizons : Il y a quatre ans à peine, vous sortiez de Saint- Michel. Quel est le meilleur souvenir que vous gardez de vos années au Collège ?
Caitlin Moens : Le théâtre des Trois Portes car il y avait une ambiance extraordinaire et c’était une chance énorme de pouvoir jouer dans une si grande salle.
Johanne Simonart : Les copines (rire) ! Et aussi l’analyse critique et l’esprit de synthèse que nous a donnés l’enseignement jésuite. Cela se voit très fort après dans nos études de droit où d’autres étudiants retiennent tout par cœur sans jamais faire aucun lien.