Les Filles aux mains jaunes, par Elisabeth Gambi

Elisabeth Gambi, élève de 5T5, nous livre ici un beau compte-rendu de la pièce « Les Filles aux mains jaunes » de Michel BELLIER, hommage aux ouvrières de la « der des der » représentée par l’Atelier Théâtre des Professeurs du Collège en novembre 2017. Avec à l’affiche dans les rôles principaux, Margaux Elsen, Odile Van Vyve, Marie-Laurence Vanderschrick, Anne Vrielinck et au saxophone Vincent de Vos.

La guerre côté femme.

Mon père m’a un jour raconté qu’un de ses professeurs au collège avait coutume de donner des sujets de dissertation hors du commun: ainsi, d’abord, ce fut “Le mur”, et trois semaines plus tard…”L’autre côté du mur”…Le grand mérite de ces “Filles aux mains jaunes” de Michel Bellier est précisément de nous faire vivre ce qui se passe de l’autre côté. C’est la sobriété des décors qui d’emblée nous saisit. Tout est sombre, tout semble caché. Quoi de plus banal sans doute pour représenter une usine d’armement? Si ce n’est que la scène s’avance étrangement au milieu du public. Aussitôt qu’elle commence, l’action nous échappe, nous transporte et, en même temps, elle nous rattrape et nous envahit. Car le personnage central c’est la guerre, la grande. Elle se déroule certes de l’autre côté d’un rideau noir qui, éclairé, ne laisse voir que des ombres, mais elle va lentement habiter la scène. Si au début les dialogues ne font que la suggérer, elle viendra tout submerger par l’accumulation sur le plateau des obus fabriqués et par la mort qui s’invitera jusque dans l’atelier, un peu comme si les tranchées venaient occuper tout l’espace. Voilà sans doute ce qui surprend le plus: l’impression d’être toujours de l’autre côté du drame et pourtant y être progressivement plongé. A l’abri, le spectateur ne se sent en réalité jamais en sécurité….Et pourtant, quelle attachante compagnie nous offrent ces quatre femmes courageuses qui évoquent en travaillant la guerre de leurs hommes: un mari, un frère, des enfants! Leurs échanges tantôt vigoureux, tantôt tendres et légers, tantôt poignants, et même leurs silences nous les rendent familières. Avec des confidences propres à chacune selon son âge, sa condition et ses désirs, la guerre lointaine devient proche au point de nous coller à la peau comme la poudre d’explosif colore de jaune les mains et les cheveux des ouvrières.
Le courage et la soif de liberté sont leur dénominateur commun. Des quatre femmes, Rose nous est apparue de loin comme la plus lumineuse. Odile van Vyve qui l’incarne parvient, avec un jeu simple, une élocution et un timbre naturels, à nous faire trembler, rire et pleurer. Habitée par son personnage, la jeune femme nous livre un témoignage authentique et d’une grande délicatesse. Avec aussi, la spontanéité de la réplique tendrement espiègle, quand, par exemple, elle lance sans hésiter à sa jeune collègue idéaliste: “Tu ne sais pas déplacer des obus et tu veux déplacer des montagnes!” La qualité de la pièce ne se limite cependant pas à la justesse de l’interprétation. La mise en scène, le jeu des éclairages et la musique contribuent à créer l’atmosphère lourde et tragique qui convient. Les nuances tellement expressives dans le grave qu’offre le saxophone permettent d’illustrer non seulement les bruits inquiétants de la guerre et de ses armes mais aussi la souffrance et la plainte que les mots seuls ne peuvent raconter. En ce sens, à côté de la narration neutre, l’instrument intervient comme une voix supplémentaire et masculine qui rejoint la douleur des quatre femmes, en particulier au moment du deuil qui vient les frapper. Petite réserve concernant la mise en scène: les projections d’images simultanées aux dialogues semblent souvent superflues et finissent par distraire du jeu des comédiennes.
Ce moment de théâtre nous tient en haleine, il nous rappelle que décidément la guerre n’est jamais ailleurs. Elle est certes de l’autre côté mais ses blessures et ses traces empoisonnent tous nos quotidiens. Quand l’éclairage et la narration qui rythme la pièce transforment le rideau en une frontière invisible, l’histoire tragique nous devient subitement intime. Apparaît alors l’autre côté du mur, celui du professeur de papa…

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