Le Marquis de Pombal

Michel Jadot (ads 1970), ancien rédacteur de votre revue Horizons, nous mène sur les traces d’un étrange personnage, le Marquis de Pombal. Style épistolaire pour une découverte remplie d’humour et d’érudition qui se poursuivra, pour notre plaisir, dans nos prochains numéros.  Direction Portugal !

« Mes très chers amis,

Figurez-vous qu’il me fut donné, à l’occasion de la visite que me fit mon fils Édouard au Portugal, de visiter ce qui fut l’université jésuite d’Evora.

J’écris « ce qui fut », car cette université fut fermée (au grand dam de ceux qui bénéficiaient de son enseignement) en 1759, suite à l’expulsion des jésuites du Portugal (un premier pas vers la Suppression du 21 juillet 1773[1]).

Mais ce fut aussi la conséquence indirecte d’un événement naturel majeur qui avait frappé le Portugal peu de temps auparavant et sur lequel surfa le premier ministre du royaume pour réaliser la révolution copernicienne qui s’imposait à son esprit.

Car l’initiateur de cette expulsion n’est autre que le fameux Marquis de Pombal, un homme dont on dit par ailleurs tant de bien.

J’exagère à peine en vous disant qu’aussi étrange que cela puisse paraître, sa carrière repose dans une large mesure, sur l’événement naturel majeur que fut le grand tremblement de terre de Lisbonne dont on parla urbi et orbi et qui, le premier novembre 1755, détruisit la capitale et de nombreuses villes du pays. Il fut suivi d’un raz-de-marée qui noya la ville basse et tous ceux qui s’y trouvaient. Ce n’est pas tout: un gigantesque incendie provoqué, entre autres, par les cierges allumés dans les églises où l’on célébrait la Toussaint à cette heure[2] ravagea toute la ville et il s’ensuivit un indescriptible chaos humain et social.

Nombre de ceux qui eurent l’infortune de vivre cette apocalypse furent frappés d’hébétude. D’autres, en très grand nombre, moururent écrasés par les murs qui basculaient sur eux et par les moellons de pierre qui se détachaient des arches des églises[3] et des voûtes des édifices. Nombreux furent ceux qui crurent la fin des temps venue.

Petit gentilhomme provincial arriviste, puis diplomate sans grande envergure, celui qui un jour s’appellerait Marquis de Pombal avait tenté de conclure des alliances matrimoniales pouvant lui servir de marchepied pour s’élever dans la société. Ce fut en vain.  Enfin, il n’était pas dans les bonnes grâces de son roi, le roi Joao V.

C’est sans doute pour cette raison qu’il fut choisi dès son avènement comme collaborateur par le nouveau roi,  José 1er. Le futur marquis sut, pendant cinq ans[4], gagner sa confiance, travaillant à rectifier les errements de la fin du règne de Joao V.

Lorsque survint le tremblement de terre (1755), il fut un des seuls à garder son sang-froid et à ne pas se laisser ébranler. Révélant toute sa valeur, il surgit de la mêlée et prit les choses en main : il fit secourir les malheureux qui se trouvaient coincés dans les décombres, les blessés, les sans-logis, etc. et surtout, il réprima très brutalement la vague de pillage qui accompagna le désastre naturel.

Il œuvra ensuite à la reconstruction de la ville, ce qui prit un temps considérable qui s’étendit bien au-delà de la vie du grand homme. Mais, s’appuyant sur cet événement imprévu, c’est aussi et surtout une révolution des mentalités et une majeure redistribution des cartes qu’il s’attacha à réaliser. Il fit entrer le Portugal dans le mouvement général des Lumières et du rationalisme du XVIIIe siècle, créant véritablement les bases de l’État moderne. Cela ne se fit pas sans une tabula rasa des structures et des modèles existants, afin de donner au pays une direction et un élan nouveaux dont une composante majeure fut un effort de laïcisation du pays : on assista tout au long du règne de José 1er au renforcement de l’État vis-à-vis des institutions de l’Église. Par exemple, la censure contrôlée par le Tribunal du Saint-Office, fut confiée à la Real Mesa Censoria, un nouvel organisme par lui créé qui, plus tard, reçut la charge de contrôler tous les établissements scolaires et universitaires. De même le Tribunal de l’Inquisition devint en 1772 un simple tribunal royal. L’Inquisition cessera dans les faits sinon juridiquement en 1773. Qui la regrettera ? Le marquis n’hésita pas non plus à rompre pour un temps les relations avec le Saint-Siège.[5]

Incidemment, il expliqua la tragédie comme un phénomène naturel et non comme un fléau infligé par Dieu aux Lisboètes pour prix de leurs péchés, comme le répétait à l’envi, sur un mode incantatoire, le clergé à un peuple aussi crédule que désemparé.

En 1755, il décréta le retrait de la tutelle des Pères jésuites sur les Indiens dans les Réductions du Paraguay et en 1759, ce fut l’Expulsion. Il joua aussi grandement de son influence pour arriver à la Suppression de la Compagnie en 1773. On voit que toutes ces mesures n’ont pu être accomplies que par un ministre puissant et bénéficiant d’une grande autorité gagnée surtout grâce à son attitude et à son efficacité durant et après le fameux tremblement de terre.

Le clergé pâtit évidemment de ces évolutions et le marquis prit, entre autres, la Compagnie pour cible et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il fit mouche.

La reconstruction de la ville quant à elle se fit sur des bases plus géométriques, plus rationnelles et plus scientifiques comme il apparaît du plan actuel du bas de la ville en forme de gril et du mode de construction des édifices. Lisbonne devint le modèle de la Ville des Lumières : cette ville moderne subsiste aujourd’hui ; c’est, entre autres, tout le quartier de Baixa entre le bout de l’Avenida da Liberdade et la Praça do Comércio.

En matière de gestion de l’État, le Marquis vint à bout des résistances et des problèmes par l’exercice d’un sévérissime despotisme éclairé. C’était dans l’air du temps.

Comme on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, le marquis eut à souffrir certains revers et certaines déconvenues :

En premier lieu, le départ des jésuites créa un gros problème de politique éducative, car il lui fallut pourvoir au remplacement des éducateurs du pays, ce qu’il ne parvint à faire que très partiellement.

Un certain nombre de ses projets ne fonctionnèrent tout simplement pas, comme le Real Colegio dos Nobres / Collège Royal des Nobles, faute d’enseignants, ainsi que l’impôt  Subsidio Literàrio, destiné à rétribuer les professeurs nommés par le roi, sur lequel il se cassa également les dents.

Enfin, sa politique autoritaire et violente lui valut des haines féroces et, à la mort du roi José 1er, il paya ses méthodes musclées par un exil intérieur à Pombal son fief au nord de Lisbonne. L’héritière du trône était la reine Maria, assez pieuse, proche du et influencée par le clergé qui regagnait une partie du terrain perdu; le marquis n’était pas dans ses bonnes grâces et fut écarté.

Tout ceci n’a pas empêché qu’on lui érigeât à Lisbonne une statue en bronze, perchée sur une colonne de pierre d’une hauteur considérable au milieu de la place qui porte son nom : la grande Praça Marquês de Pombal est parmi les plus fréquentées de Lisbonne ; c’est un grand carrefour qui, tel un entonnoir, recueille les flots de voitures qui dévalent des collines environnantes[6] ; la ronde ne s’y interrompt que rarement. Comme on le voit sur la photo, elle est aussi le point de départ de la très longue et très belle Avenida da Liberdade[7] qui conduit en pente douce à la Praça do Comércio qui donne elle-même sur l’embouchure du Tage que l’on aperçoit dans le fond.

C’est dire si cette statue occupe dans la ville une place centrale tout comme ce marquis dans l’histoire de son pays, si petit et si grand. »

Michel Jadot (ads 1970)

Source : J’ai puisé de l’information dans l’excellent livre Histoire du Portugal  d’Albert- Alain Bourdon publié chez Chandeigne en 2015.

[1] Suppression (jusqu’en 1814) de la Compagnie de Jésus / les jésuites, par le bref apostolique Dominus ac Redemptor du pape Clément XIV

[2] Neuf heures trente du matin

[3] Sur la photo, le Convento do Carmo qui est resté en l’état. On peut se faire une idée du nombre de personnes qui ont dû périr écrasées par la chute du toit de cet édifice.

[4] 1750 – 1755

[5] 1760-1770

[6] Lisbonne à l’instar de Rome est bâtie sur plusieurs collines.

[7] Une sorte d’Avenue Louise lisboète !

Cotisations

Notre mailing d’appel à cotisations 2024 te parviendra à la mi-mars. Nous te remercions par avance d’y répondre favorablement, même si la cotisation n’est pas obligatoire. Elle est en effet importante car elle traduit la solidarité que tu manifestes envers l’association ainsi que le soutien à nos projets et ton attachement à notre Collège…  Clique ici.