Interview de Sophie Gosselin

Interview de Sophie Gosselin

C’était au début 2020, avant l’apparition du Covid et du premier confinement, un « vent favorable », comme on dit en langage journalistique, m’apprend qu’une ancienne de St-Michel,  Sophie Gosselin (Ads 1994) occupe un poste-clé au sein de la célèbre Chapelle Musicale Reine Elisabeth (CMRE) à Waterloo. Elle y est COO (Chief Operating Officer) et Secrétaire Générale. Je l’appelle donc au téléphone et lui propose de nous rencontrer en vue d’une interview pour Horizons.

Fin janvier, me voilà donc à Waterloo, dans les bâtiments imposants de la Chapelle Musicale à la recherche du bureau de Sophie. Recherche aux échos de piano, de violon ou de chant qui me parviennent des studios de répétition.

Sophie Gosselin m’accueille dans la salle dite du CA de l’institution.

Horizons : Sophie, explique-moi le parcours qui t’a conduite ici à la Chapelle Musicale ?

Sophie :  Je suis passionnée par la musique, par le piano en particulier.  Dès mes 6 ans, je suis les cours à l’Académie de Schaarbeek et à ma sortie du Collège St-Michel, en juin 1994, j’entreprends une licence en musicologie à l’ULB au cours de laquelle j’ai l’occasion de faire un Erasmus à la Faculté de musicologie de Crémone en Italie. C’est dans le cadre de mon mémoire consacré au Manuscrit Codex Angelicus, que j’ai eu d’ailleurs le privilège, de retourner quelques heures au collège, pour peaufiner mes recherches dans la bibliothèque des Pères Bollandistes. Souvenir inoubliable !  A la fin de ma licence, j’entame un master en gestion culturelle à l’ULB.  Et alors que j’achève ce parcours, en avril 2000, je remplace pendant trois mois une assistante du Concours Reine Elisabeth. C’était la session chant cette année-là et mon travail consistait à préparer les partitions d’orchestre. Fin septembre, la Chapelle musicale me recontacte et me propose le poste de Secrétaire Générale. J’ai hésité car la recherche m’attirait et je voulais à priori poursuivre par un doctorat mes recherches sur la musique du Moyen Age que j’avais entamées lors de ma licence en musicologie. Mais finalement, j’ai accepté.

Horizons : En quelques mots pourrais-tu expliquer ce qu’est la Chapelle Musicale ?

Sophie : L’origine de la Chapelle Musicale remonte à 1939 et est liée à deux grandes personnalités : la Reine Elisabeth et Eugène Ysaye, célèbre violoniste et compositeur belge. Pour des musiciens talentueux, ils créent ici une école de formation musicale et un concours international qui prendra plus tard le nom du Concours Reine Elisabeth.

Jusqu’en 2004, la Chapelle accueille en résidence une douzaine de jeunes musiciens et compositeurs. Chacun est supervisé par un professeur de son choix et la formation dure trois ans. Puis en 2004 s’opère un remaniement du projet pédagogique de la Chapelle d’où vont sortir des musiciens renommés qui feront carrière sur la scène internationale ou dans l’enseignement supérieur.

Horizons : Quel remaniement au projet pédagogique va-t-il être apporté en 2004 ?

Sophie : L’élargissement du nombre de jeunes musiciens talentueux, sélectionnés après audition – actuellement ils sont plus de septante, d’une vingtaine de nationalités différentes –  une formation de très haut niveau proposée dans 6 disciplines au choix  le chant, le piano, le violon, l’alto, le violoncelle et la musique de chambre ;   une formation personnalisée adaptée à chaque artiste sous la guidance d’un maître en résidence : José van Dam, chant ; Augustin Dumay, violon ; Gary Hoffman, violoncelle ; Quatuor Artemis, musique de chambre ; Louis Lortie, piano; et parallèlement à leur formation artistique, la Chapelle les aide à leur insertion professionnelle grâce à des collaborations avec des partenaires culturels belges et étrangers.

Horizons : Et ton travail à la Chapelle, en quoi consiste-t-il ?

Sophie : Cela fait plus de vingt ans que je suis à la Chapelle Musicale. J’y suis chargée de la gestion opérationnelle du projet culturel. Ce qui veut dire le mener à bien et le développer aux côtés de Bernard de Launoit, le Président/CEO. Ce travail a eu aux cours des années de multiples facettes : management, marketing, communication et développement des publics, la logistique, les ressources humaines, la coordination transversale entre les divers départements, les lancements de projets spéciaux tels que le nouveau projet en 2004, la construction de la nouvelle aile en 2015, les premières éditions de la Saison de concerts, des festivals, des voyages musicaux. En ce moment, je participe aux réflexions stratégiques à long terme tel que le futur projet de construction que j’attends avec impatience (3 pavillons et une grande salle de répétition). Par ailleurs, je me concentre sur les relations avec les pouvoirs publics. C’est dans ce cadre que je suis également membre de la commission des musiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles, d’assemblées générales et de commissions d’accompagnement de certains centres culturels. C’est un métier passionnant, varié, créatif, qui est exigeant, demande de la rigueur et de la flexibilité. Il faut savoir prendre des initiatives, saisir les opportunités, rebondir d’une production à l’autre mais surtout tenir physiquement et moralement sur la longueur ! Je suis convaincue que c’est au Collège que j’ai appris à vivre dans un milieu exigeant, à résister au stress et maintenir un rythme de travail soutenu sur le long terme.

Horizons : Comme visiteur, en arrivant ici, ce qui m’a frappé, c’est la beauté du site et de l’ensemble des bâtiments de la Chapelle musicale. Tout cela est voulu, je suppose.

Sophie : Effectivement ! La formulation initiale de la Reine Elisabeth était de : « Faire de la Chapelle un centre d’excellence musicale installé dans un écrin de verdure». Pour réaliser son rêve, en 1938, le Comte Paul de Launoit met à sa disposition ce domaine de Waterloo, en bordure de la forêt de Soignes, et avec l’appui de mécènes, il finance la construction de la Chapelle et son aménagement. Le bâtiment initial est l’œuvre de l’architecte Yvan Renchon, combinant harmonieusement espaces de travail et environnement pour la concentration, la méditation et la convivialité.  Puis, avec la refonte du programme artistique voulu en 2004, apparaît rapidement la nécessité de construire une nouvelle aile tout en respectant le bâtiment initial (classé en 1994) et son site environnant. Cette aile dite « de Launoit » est inaugurée en janvier 2015. C’est un édifice moderne, entièrement vitré, qui se fond dans la nature. Il abrite une vingtaine de studios totalement insonorisés ainsi qu’une salle de concert et un studio d’enregistrement de haut niveau grâce à une acoustique modulable. Cette extension de la Chapelle a permis une amélioration des conditions de travail des musiciens en résidence et l’ouverture au monde extérieur. Elle positionne la Chapelle en tant que diffuseur et opérateur culturel par l’organisation de 250 concerts par an (MuCH Music Season – MuCH Waterloo Festival en juin, Music Chapel Festival en décembre), et des tournées internationales où jeunes talents avec maîtres confirmés ont l’occasion de se produire devant un large public (à travers l’Europe, USA, Canada, Inde, Chine, Japon, Emirats Arabes, …)

Horizons : C’est pour un public sensible à la musique classique, un public de mélomanes mais un jour j’ai vu dans une salle des Cliniques Universitaires Saint Luc des musiciens de la Chapelle qui s’y produisaient aussi.  C’est un public tout autre ! Pourquoi ?

Sophie : Depuis 2015, la Chapelle Musicale a inclus dans ses missions un « axe Community» pour promouvoir des rencontres entre nos jeunes musiciens en résidence et des publics qui n’ont pas un accès immédiat à la musique : des patients dans les hôpitaux, des personnes en grande difficulté, des migrants, des personnes à mobilité réduites ou encore des détenus de prison. En partageant leurs talents musicaux avec ces différents publics, les jeunes artistes et la Chapelle Musicale, participent à une mission sociale et culturelle. Ces projets « Community » se développent tant à l’extérieur de la Chapelle Musicale (plus de 30 activités musicales/an) que dans notre salle de concert à Waterloo. Et nous pouvons affirmer que public comme musiciens, en retirent une expérience de vie et/ou de scène extraordinaire.  En fait, cette dimension sociale de la Chapelle avait débuté en 2012 par la création d’un chœur d’enfants à Bruxelles dans le quartier des Marolles : la Chorale Equinox, la première d’une longue série rassemblant des enfants issus d’environnements défavorisés, souffrant de troubles comportementaux, ou encore placés par le juge. Ce pan d’activité m’a poussée – parallèlement à mon métier- à entamer des études en psychologie à l’UCL. Je suis donc à 45 ans en 2e Bachelier, à revivre l’ambiance des blocus et du campus. A 18 ans, j’avais beaucoup hésité entre philo & lettres ou psycho. Comme je le dis souvent, « on ne vit qu’une fois ». Je ne pouvais pas ne pas me donner l’occasion d’assouvir ma 2e passion.

Horizons : Comment se fait le financement de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth ?

Sophie : La Chapelle Musicale est financée à 85% par le secteur privé (fondations, entreprises, mécénat privé, recettes propres) et 15% par des aides publiques (la Politique scientifique fédérale belge, la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Loterie Nationale, la Province du Brabant Wallon,  etc.

Horizons :  Pour compléter ce tableau de la Chapelle Musicale, il faut évoquer maintenant ce qui lui est associé : le Concours musical Reine Elisabeth.

Sophie : En effet, à l’origine, la Reine Elisabeth et Eugène Ysaye voulaient doter la Belgique non seulement d’une école hautement spécialisée dans la formation musicale et artistique mais aussi d’un concours international de musique classique : le Concours Eugène Ysaÿe qui deviendra en 1951 la Concours Reine Elisabeth. La Chapelle Musicale accueille sur son site, les 12 finalistes durant leur mise en loge et la préparation du concerto imposé.

Horizons : Merci, Sophie, pour ce parcours rapide de ce qu’est la Chapelle Musicale. Je te laisse conclure – je sais que tu y tiens beaucoup – par quelques mots sur ta famille et sur Saint-Michel.

Sophie : Mon mari (également ancien du Collège) et moi-même, sommes parents de notre première fille de 12 ans et, en tant que famille d’accueil, de notre seconde qui nous a rejoints et remplit pleinement sa place depuis maintenant 7 ans. C’est une aventure extraordinaire que, tous les quatre, nous conseillons de vivre à tous ceux qui l’envisageraient.

Et mes meilleurs souvenirs à Saint Michel sont tout d’abord, étonnamment, un simple cours à option sur l’analyse des médias qui m’a fortement marquée, puis les cours de français, de sciences, et plus particulièrement ceux organisés dans la bibliothèque du collège, et consacrés à la méthodologie de la recherche. Ils ont guidé mes choix d’études qui suivirent. Un grand merci pour tout cela.

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NDLR : l’interview de Sophie Gosselin a été réalisée en janvier 2020. La crise du Covid depuis mars 2020 jusqu’à aujourd’hui, mars 2021, avec ses impératifs sanitaires a bousculé l’agenda de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth. Mais elle a réussi à maintenir la résidence des artistes qui sont confinés depuis un an dans un environnement qui leur permet malgré la situation, de travailler intensément leur instrument. La saison de concerts a été maintenue, soit en présentiel dans une jauge restreinte, soit en extérieur dans le parc cet été, ou encore en live streaming. Elle essaie, à son échelle de maintenir le lien avec le public et assurer les contrats et cachets des artistes programmés afin de les soutenir du mieux qu’elle le peut.

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