Douze hommes en colère de Réginald Rose

L’Atelier Théâtre des Professeurs du Collège Saint- Michel (ATPCSM) a terminé sa saison fin mars avec le célèbre huis clos « Douze hommes en colère » de Reginald Rose. Nous avons demandé à Marcel Bergez de nous apporter son regard de metteur en scène en ce qui concerne la réalisation de cette grande aventure.

Pourquoi avoir proposé « Douze hommes en colère » ?
C’est avant tout un coup de cœur et un retour aux sources. Elève de Monsieur Strauven, en 1964, il nous donna à lire, au cours d’anglais, la pièce adaptée du film sorti en 1957 « Twelve Angry Men » avec Henri Fonda. Ce fut immédiatement une révélation, car d’emblée tout apparaissait captivant ; les thèmes abordés comme la peine de mort, le racisme, la xénophobie, l’immigration, la démocratie, ensuite l’écriture dramatique avec l’unité de temps, de lieu et d’action, enfin le choc des idées et des personnages à travers des rebondissements savamment entretenus. Tous les ingrédients d’une œuvre percutante étaient réunis. Un demi-siècle plus tard, ce texte reste d’une effrayante actualité et démontre de façon magistrale qu’une prise de décision collective unanime est toujours difficile à prendre.

Une pièce … à convictions chancelantes.
L’histoire de ce jury de douze hommes en délibération au cours d’un procès d’assises sur le sort d’un adolescent vivant dans les quartiers défavorisés de New York, soupçonné d’avoir poignardé son père, met cruellement à jour leurs divergences d’opinions, leurs préjugés et la bassesse de leur jugement. Coupable ou non coupable ? Tous sont convaincus que la décision ne prendra que quelques minutes : coupable, bien sûr ! C’est sans compter sur un juré qui demande d’accorder un moment de réflexion avant d’envoyer ce gosse sur la chaise électrique. La vie d’un homme est en jeu ; et si ils se trompaient ? En nous faisant pénétrer au cœur même de ces affrontements houleux, à huis clos, là où le public n’a pas accès, l’auteur va nous rappeler qu’une tête bien faite vaut mieux qu’une tête vite pleine !

Un casting de rêve
Rares sont les pièces de théâtre proposant une distribution aussi riche. Douze grands et beaux rôles présents sur scène pendant 105 minutes. Des personnages attachants, inquiétants voire répugnants qui vont déchirer au fil de la pièce leur apparente cohésion : un échantillon grandeur nature de ceux et celles que nous côtoyons quotidiennement ! Jouer Jules César, Napoléon Bonaparte, le Roi Soleil, Christophe Colomb ou Marie Curie est un plaisir qu’un comédien ne refuse pas, mais quand il s’agit de se mettre à la place de « Monsieur tout le monde » quelle… difficulté! Être, sur scène, architecte, peintre en bâtiment, courtier en bourse, chômeur, créatif dans une agence de publicité ou horloger, comme dans la pièce, demande une justesse de ton, un naturel crédible et sincère, une aisance de jeu, de la sobriété. Quel beau challenge que de « faire croire que l’on ne joue pas »car rien n’est plus élaboré que l’impression d’improviser. Cela exige un travail considérable de précision, de rigueur, de soucis du détail qui demande aux comédiens une grande confiance envers le metteur en scène et de la part de celui-ci une profonde admiration pour les comédiens qu’il dirige. C’est pourquoi le choix de la distribution fut primordial pour arriver à des prestations personnelles de haute qualité dans un ensemble homogène et équilibré. Le résultat, applaudi et reconnu tant par le public intergénérationnel que par la critique, traduit sans équivoque l’effort entrepris. Un défi supplémentaire a été également salué unanimement : la présence de femmes pour deux rôles tenus par des hommes dans l’œuvre originale. Sans nuire à l’esprit de l’auteur, cette approche a souligné les accents contemporains des thèses d’extrême droite défendues par le juré n°10. Elles ne sont pas l’apanage du seul sexe masculin, les femmes aussi peuvent y être sensibles ; pour s’en convaincre, l’exemple du Front National en France est éloquent

Une mise en scène anti-monotonie
Un huis clos est par vocation voué à un confinement qui pourrait vite être assimilé à l’ennui. Dès lors, déplacer constamment, de façon naturelle, 12 personnes dans un lieu unique, alors qu’elles doivent délibérer autour d’une table pendant 105 minutes, relève de la gageure. Ce casse tête a exigé de longs mois de préparation minutieuse. La partie non visible de l’iceberg que représente la mise en scène, s’est construite sur des principes de base spécifiques : tolérance zéro pour l’approximation, exactitude des repères, fluidité dans les changements de place, concentration totale du début jusqu’à la fin. A cette discipline contraignante s’est ajouté un leitmotiv durant toutes les répétitions : respecter les ruptures de rythme et les silences porteurs de tensions, d’oppressions, de violence retenue. Le succès du résultat n’a pas été le fruit du hasard mais il résulte bien d’une alchimie parfaite entre 20% d’inspiration et 80% de transpiration !

Conclusions
Après avoir créé en Belgique « La revanche du corbeau » de Yannick Médélec, dépoussiérant ainsi les fables …et Jean de La Fontaine, l’ATPCSM s’est tourné avec bonheur, vers un autre spectacle à grande distribution : un classique du théâtre américain des années 60 « Douze hommes en colère » de Réginald Rose. Chaque représentation de ce huis clos exemplaire a suscité un intérêt particulièrement soutenu auprès d’un public tant scolaire que adulte. Le souffle de l’émotion était palpable dans la salle tandis que sur scène une légitime fierté brillait sous les applaudissements. Pari tenu, pari gagné … en attendant la saison prochaine qui nous fera découvrir également une pépinière intarissable de talents.

 

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