Farellia Tahina, ou la communication du développement
D’origine malgache, Farellia Tahina est sortie du Collège Saint-Michel en 1995 et après avoir travaillé au Sénégal, elle est en poste au Bénin depuis 2010. Vous suivez toujours ? Elle y est spécialiste en communication sociale et développement communautaire pour l’Unicef. Présente dans plus de 191 pays et active dans de larges domaines comme la santé, l’éducation et la protection, cette organisation est l’une des plus reconnues dans la lutte pour les droits de l’enfant. Entretien avec une femme à l’emploi du temps plutôt chargé !
Horizons : Quel a été votre parcours depuis votre sortie du Collège ?
Farellia Tahina : J’ai terminé le secondaire en 1995. Après le Collège, mon parcours a été assez classique : le droit à Saint-Louis puis à l’UCL. Une fois la maîtrise en droit obtenue en 2000, il me semblait opportun de revenir à Madagascar. En effet, après 20 ans passés à l’étranger – du fait de la carrière diplomatique de mes parents – j’avais très envie de vivre et travailler dans mon pays natal. Après un court passage dans les mass médias, là où se rencontrent la vie artistique, politique, économique et sociale du pays, j’ai été recrutée en 2001 comme consultante au PNUD (ndlr : le Programme des Nations Unies pour le développement) afin de vulgariser les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Ensuite, j’ai travaillé pour l’ONUSIDA où j’étais en charge de l’appui aux réformes législatives et de la rédaction de lois de prévention du VIH et de protection des personnes affectées ou infectées par le VIH/SIDA. A partir de 2004, j’ai poursuivi ma carrière de fonctionnaire internationale des Nations-Unies auprès de l’Unicef. D’abord au Bureau d’Antananarivo, puis au Siège Régional sis à Dakar, avant de rejoindre le Bureau de Cotonou. Ce parcours a été entrecoupé de moments plus réflexifs et académiques qui m’ont permis de suivre une spécialisation en communication sociale à l’Université Libre de Liège et en Management associatif à l’ULB et des formations en justice juvénile auprès de l’université de Pretoria ou encore en gestion et leadership avec la Gordon Institute of Business Science.
Horizons : Comment vous est venue votre vocation pour le travail humanitaire et plus particulièrement au sein des Nations Unies ?
Farellia Tahina : Vu les circonstances de mon entrée dans le système des Nations-Unies, je ne suis pas certaine que l’on puisse parler de vocation mais plutôt d’heureux concours de circonstances… Même si je suis assurément passionnée par ce travail de coopération au développement ! A l’époque, alors que je travaillais pour un groupe de presse, télévision et radio privé malgache, la Coordination Résidente des NationsUnies lançait la campagne « Objectifs du Millénaire pour le Développement ». C’est ainsi que j’ai d’abord fait partie du comité de pilotage de la campagne et que j’ai ensuite été recrutée pour rédiger des articles sur les droits humains, le genre et l’environnement. Dès le départ, mes tâches furent plus du domaine du « développement » que de l’ « humanitaire ». Même si les deux vont de paire, le premier s’attache davantage à appuyer les gouvernements et les populations à poser un environnement favorable à la réalisation des droits humains, alors que la seconde est la réponse à des urgences et crises du fait de l’homme, de type politique ou économique, ou encore de catastrophes naturelles. La coopération au développement répond davantage à mes compétences et à mes aspirations. Elle est d’ailleurs essentielle à la résilience communautaire, en d’autres termes à la résistance de la population et de l’état face à une urgence humanitaire.
Horizons : Pour une organisation comme l’Unicef, je suppose que la communication a une importance capitale. Quel est exactement votre rôle en tant que « spécialiste en communication » ?
Farellia Tahina : La communication est effectivement capitale pour l’Unicef, comme pour toute institution. A l’Unicef, il y a deux départements distincts : « Média et Relations Extérieures » et « Communication pour le développement ». Mes collègues des « MRE » ont pour mandat de communiquer sur les actions de l’Unicef, de mobiliser des fonds et de maintenir le momentum ou prise de conscience du public sur la cause des enfants. Ce sont pour la plupart des professionnels des médias. Mon département quant à lui est composé de sociologues, d’anthropologues, de juristes des droits de l’homme… Et notre travail consiste à impulser une évolution des comportements individuels et de la société en faveur de la santé, l’éducation et la protection de l’enfant. Nos principaux objectifs sont de renforcer la bonne gouvernance pour les droits de l’enfant ainsi que d’augmenter la demande et l’accès aux services sociaux-clé, en particulier pour les plus pauvres et les plus vulnérables (comme les communautés isolées, les personnes handicapées, issues de minorités ethniques et religieuses), en veillant à ce que les femmes et les filles jouent un rôle aussi actif que les hommes et les garçons.
Aussi, j’appuie le gouvernement dans la conception de politiques et stratégies qui renforcent la compréhension par les populations des options de développement et qui stimulent leur participation citoyenne aux débats publics, voire leur réclamation de biens et services sociaux à l’état. D’autre part, je supervise des équipes de chercheurs puisqu’il s’agit d’interventions stratégiques planifiées sur base d’études socioanthropologiques, démographiques et statistiques, de recherches opérationnelles, de modélisations et d’analyse de coût-efficacité. Un autre aspect de mon travail est la création de partenariats avec les forcesvives de la nation, comme les leaders traditionnels, religieux et séculiers, la société civile formelle et informelle, les artistes… C’est sans doute le département de l’Unicef qui offre le plus d’espace à la créativité puisque mes principaux partenaires d’exécution sont les canaux traditionnels et modernes de communication : les conteurs, griots, crieurs publics, compagnies de théâtre de rue, artistes plasticiens, animateurs de radio de proximité, cinéastes, musiciens, et de plus en plus les compagnies de téléphonie mobile et les réseaux internet.
Horizons : Le travail de communication de l’Unicef comprend donc deux volets : d’une part auprès des populations locales recevant l’aide et d’autre part auprès du grand public afin de le sensibiliser et de l’inciter à envoyer des dons. Pour ce deuxième volet, où se situe exactement la limite entre communication et marketing ? Quelle est la position de l’Unicef à ce sujet ?
Farellia Tahina : Dans une période de crise et de récession, la recherche de fonds est un challenge et donc la communication externe se doit d’être aussi dynamique et proactive que la communication sociale. Cela dit, si la communication vers les pays industrialisés est assez proche du marketing, les accords avec le secteur privé et la recherche de fonds sont très régulés. Cette communication est vitale et l’Unicef par ses résultats, son sérieux et son mandat pourra, je l’espère, toujours compter sur de généreux donateurs. Je souhaiterais cependant qu’une réponse émotionnelle et épidermique du public n’entrave pas une réponse plus structurelle et systémique. Il est extrêmement dommageable qu’il soit plus difficile de trouver des fonds pour renforcer le système de santé dans une perspective de pérennisation que de financer une campagne de vaccination, qui si elle est efficace et sauve des vies, reste ponctuelle.
Horizons : Si vous deviez ne citer qu’une seule action menée par l’Unicef, laquelle choisiriez-vous ?
Farellia Tahina : C’est une question difficile car toutes les activités se complètent et se renforcent. L’amélioration de l’éducation conditionne celle de la santé et inversement, comme la protection de l’enfance est liée aux politiques sociales et vice versa. Je dirai que l’aspect que je préfère à l’Unicef c’est sa présence tant au niveau des politiques qu’au niveau opérationnel. Contrairement à d’autres agences onusiennes dont l’avantage comparatif réside dans un appui politique et technique aux institutions de l’Etat, l’Unicef ajoute à cela des interventions au sein des populations. Si je devais quand même citer une action, ce serait la régulation des adoptions internationales pour tenir compte avant tout de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Horizons : Avant votre entrée à l’Unicef, vous avez dit avoir travaillé à la vulgarisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement lancés par les Nations Unies en 2000. A quatre ans de la deadline, plusieurs objectifs semblent encore bien loin d’être atteints. Qu’en pensez-vous ?
Farellia Tahina : En effet, pour beaucoup de pays les ODM ne seront pas atteints. Mais la Déclaration du Millénaire en posant des objectifs de développement mesurables auxquels se sont formellement engagés les états membres des Nations-Unies en 2000 a permis de ramener de la cohérence parmi les acteurs de l’aide, de concentrer les ressources financières et humaines sur des domaines bien circonscrits pour plus d’impact et de repenser les modalités de l’aide pour qu’elles respectent le leadership des Etats bénéficiaires. Au Bénin, où je suis en poste depuis 2010, le pays a connu des avancées remarquables dans la réduction de la mortalité infanto-juvénile (passant de 167 ‰ en 1996 à 125 ‰ en 2006 et 118‰ en 2009) ou l’accès à l’éducation (le taux net de scolarisation passant de 61,1% en 2006 à 76,2% en 2007 et 84,6% en 2009). Et, les engagements pris par l’Etat béninois et les Etats donateurs dans le cadre de la déclaration y ont fortement contribué.
Horizons : Une chose dont vous n’avez par contre pas parlé dans votre parcours est votre rôle de coach pour l’ASBL « La Constellation pour la compétence communautaire ». Pouvez-vous nous parler quelque peu de l’objectif de celle-ci ?
Farellia Tahina : Je suis en effet également membre et coach de l’ASBL « La Constellation ». C’est une organi- sation non-hiérarchique et innovante qui capitalise sur les leçons tirées de plus de 60 ans de coopération au développement. La principale leçon étant que l’appropriation et la gestion par les individus et leurs communautés des programmes de développement sont impératives pour leur réussite. Parmi les membres, il y a autant d’experts des Nations-Unies, de membres de l’armée du Salut ou de cadres du secteur privé, que d’« experts de leur réalité locale » comme des associations et groupements d’agriculteurs, de travailleuses du sexe, de camionneurs… J’ai particulièrement appuyé la Constellation dans la conception d’un programme de formation à distance à la facilitation de réponses locales – ou community empowerment – en collaboration avec l’Université de Tromsø en Norvège. Quand mon travail me le permet, je participe à des activités de networking et de renforcement de capacités de « La Constellation ». Ainsi, mi-novembre, je me rendrai au Ghana pour un atelier de 4 jours avec les leaders des Eglises de l’Afrique de l’Ouest sur la gestion par les bénéficiaires eux-mêmes de la sécurité alimentaire.
Horizons : Vous voyagez sans cesse pour tous ces différents travaux ! Comment gérez-vous cette carrière internationale ? La maison ne vous manque jamais ?
Farellia Tahina : Depuis toujours, le mouvement et les voyages font partie de ma vie. Mon travail m’a effectivement menée de l’ile Maurice, au Cameroun, de l’Afrique du Sud au Kenya, du Burkina Faso en Ethiopie, de la République Démocratique du Congo à la Thaïlande… et ce, à ma plus grande joie. Bien sûr, c’est toujours un moment de célébration quand je rends visite à mes amis en Belgique ou que je retourne quelques semaines à Madagascar pour voir ma famille et mes proches. Mes racines sont dans les rizières de mes ancêtres à Beraketa, les plages de Fort-Dauphin, l’allée des baobabs de Morondava où je suis née. Pourtant, je me sens également chez moi au Sénégal ou au Bénin. C’est une chance infinie d’être aux prises avec une culture qui n’est pas la sienne. C’est face aux différences de mœurs, face à la béance du langage ou des représentations du monde inconciliables qu’il ne reste plus que la commune humanité… si l’on arrive à questionner constructivement sa propre relation au monde et à refuser tout dogmatisme ou préconception.