Vincent de Moor (SM1906)

Horizons : Alain Deneef (Ads 1978) poursuit pour nous sa série de portraits d’anciens élèves, tirés du riche répertoire des anciens du collège Saint-Michel qui se sont fait un nom dans les domaines les plus divers.

Vincent de Moor (SM06) : un abbé de choc pour un anticommunisme baroque

Vincent (Robert Ghislain) de Moor, né à Bruxelles, le 4 avril 1889, et mort à New-York (USA), le 18 novembre 1961, fut aumônier scout et militaire, résistant, missiologue, voyageur et propagandiste anticommuniste.

Après avoir commencé ses humanités au collège Saint-Michel de la rue des Ursulines, il sortit de la première rhétorique du nouveau collège Saint-Michel en 1906. Il fut élève au petit séminaire de Bonne Espérance en 1912, puis fut ordonné prêtre le 10 août 1913. Il devint vicaire de la paroisse Saint-Albert à Schaerbeek, le 14 octobre de la même année.

Entre-temps, il avait fait son entrée dans le mouvement scout catholique comme secrétaire du conseil supérieur. Comme tel, il était aumônier général de l’association et le bras droit du directeur général, l’abbé Jules Petit. Il l’accompagna dans sa dissidence quand celui-ci créa en mai 1914 les Belgian Catholic Scouts, souhaitant comme lui donner au scoutisme catholique une coloration plus affichée et assumée. En juillet 1914, il fonda la première troupe scoute de Tongres.

Engagé comme volontaire de guerre le 6 mai 1915, il fut désigné pour l’hôpital militaire belge de Bon-Secours, à Rouen, le 9 avril 1916. Puis, il partit en mission en Angleterre, à la place de Folkestone, le 24 avril 1916. Il est commissionné le 26 juin 1922 en qualité d’aumônier adjoint de 2e classe, à dater du 9 avril 1916. Il fut décoré de la croix de guerre avec palme, le 27 novembre 1925 avec la citation : « aumônier militaire qui a pris volontairement du service à l’armée, au début de la guerre, sous l’occupation allemande, a franchi la frontière en mai 1915. Chargé d’un service de renseignement et de recrutement, s’est voué corps et âme et s’est signalé tant au front qu’en Belgique envahie par une audace, un courage et une ténacité remarquables ». Il obtint la croix de guerre française, devint titulaire de l’Order of the British Empire et fut fait chevalier de l’ordre de Léopold et de la Légion d’honneur.

C’est surtout pour ses activités de résistance en Belgique qu’il acquit sa renommée. Il fut en effet, au côté d’Eugène Van Doren et de Victor Jourdain, un des fondateurs et des directeurs de la Libre Belgique clandestine, dont il devint le délégué au front. Agissant indépendamment de l’autorité militaire ecclésiastique, il fit partie de l’Intelligence Service, fut chargé de missions secrètes en pays occupé, devenant chef de l’organisation secrète interalliée ‘Marcel’, du nom qui lui fut donné : Lieutenant Marcel. Il a raconté ses aventures dans deux livres, Mes aventures et le mystère de la Libre Belgique (1919) et Les cahiers du lieutenant Marcel (1937) et dans une brochure, La guerre sous l’occupation, contenant le texte des allocutions prononcées à la radio canadienne par le Lieutenant Marcel.

Il devint ensuite professeur de religion à l’école moyenne pour garçons d’Etterbeek, du 1er février 1922 au 1er septembre 1930.
Très lié avec la comtesse anglaise Claude-Marguerite de Kinnoull (1905-1984) qu’il convertit à la foi catholique en 1928 et dont il devint le parrain et le mentor, il devait être soutenu pendant de longues années dans ses actions, au travers des libéralités de cette héritière de la Players Cigarettes Company (qui devint ensuite la Imperial Tobacco Company)(1) . Avec elle derrière le volant, ils entreprirent un raid intrépide au travers du continent africain. Partis le jour de Pâques 1931, ils embarquèrent à Marseille avec leur Citroën C6, camion à roues et non autochenille en cette époque où les half-tracks des croisières Citroën stupéfiaient le monde. Baptisé Croisière bleue en l’honneur de la Vierge, leur véhicule donna aussi son nom à ce raid trans-africain. Arrivés au Caire, en Égypte, ils prirent la direction du sud vers Le Cap en passant par la Nubie, le Soudan anglais, le Congo belge et la Rhodésie. S’étendant plus à l’ouest, le chemin du retour passa par le Tanganyika, avant d’obliquer vers l’ouest vers le Burundi, le Rwanda, le Congo belge à nouveau, le Congo français, le Cameroun, le Soudan français, pour remonter vers l’Algérie par le Sahara. Ils terminèrent leur périple de 37.526 km, le 24 janvier 1932. Ceci constituait pour l’époque un record du monde de longueur dans un raid automobile, réalisé avec un camion à six roues équipées de pneumatiques de basse pression, propulsé par un moteur de six cylindres et de 12 chevaux et flanqué de réservoirs de 300 litres d’essence et de 100 litres d’eau. Lors de ce voyage de propagande missionnaire, Claude de Kinnoull et Vincent de Moor visitèrent 126 postes de mission, laissèrent derrière eux des aides importantes au profit de quatre vicariats apostoliques et établirent six missions nouvelles.

Vincent de Moor avait toujours été attiré par le cinéma. Il participa en 1919 au tournage du film narrant les exploits de l’équipe de La Libre Belgique clandestine dont il avait été un des propagandistes. En 1919, il assura lui-même le scenario de Cœurs belges et où il jouait également, qui lui permettait de revendiquer mieux encore sa part dans cette aventure patriotique. De son périple africain, il ramena un long métrage, assez logiquement intitulé La croisière bleue. En juin 1933, Vincent de Moor devint directeur du Bureau international de Propagande missionnaire par le Film, créé avec l’appui une fois encore de la comtesse Kinnoull.
En parallèle, il fut nommé professeur de missiologie à l’Institut catholique de Paris. Il écrivit en 1935 un livre sur le soutien aux missions catholiques, Leur combat. Essais de missionologie. Dans ce livre, il magnifiait l’action des missionnaires catholiques, dénonçant celle des protestants, qu’il comparait avec l’influence néfaste des francs-maçons. Plus intéressant est l’ouvrage qu’il fit paraître en 1938, en collaboration avec le Père blanc d’Afrique Félix Dufays (1877-1954), Les enchaînés. Au Kinyaga, dans lequel il étudie avec soin les coutumes des tribus rwandaises des Bakinyaga.

Lors de la Guerre d’Espagne, il se signala par un zèle sans retenue en faveur des nationalistes espagnols. Il passa six mois en Espagne en 1936, accompagnée de sa bienfaitrice Claude Kinnoull, s’y livrant à des tâches assez peu communes pour un ecclésiastique, comme des enquêtes sur l’origine belge des munitions républicaines ou la destination des chèques payés par Madrid. Il semble même avoir été présent sur le front pendant les combats et pendant les séances des tribunaux militaires nationalistes. Rentré en Belgique, il multiplia les conférences sur ce thème au début de 1937 et publia en 1938 L’Horreur rouge en terre d’Espagne, sous le couvert du Bureau Universel de Presse, une des premières officines de propagande franquiste en Belgique, qu’il avait contribué à mettre sur pied, avec l’aide renouvelée de Claude de Kinnoull. Celle-ci était d’ailleurs co-auteur du livre susmentionné sous le pseudonyme de Claudek. Il fit ensuite plusieurs autres séjours en Espagne, nouant des contacts avec les volontaires belges dans les rangs franquistes dont le pilote Rodolphe de Hemricourt de Grunne, et y servit, pour partie comme aumônier, pour partie comme journaliste, publiant ses récits de guerre dans Le Pays Réel sous son pseudonyme de Lieutenant Marcel.

S’il était un anti-communiste viscéral, on notera que dans son livre L’Horreur rouge en terre d’Espagne, il émet un avis nuancé sur les causes de la montée en puissance des républicains : « La Révolution était inévitable. Il fallait une révolution sociale. Tout le monde peut faire son mea culpa. (…) Il y avait de trop grandes richesses et de trop nombreuses misères. Il aurait fallu d’abord une forte législation sociale, bien appliquée, puis seulement on aurait pu tenter quelque chose. »(2) Dans la même veine anti-communiste, il écrivit aussi avec I. V. Poulyna une Petite histoire de la révolution russe.

Il fut lors du second conflit mondial à nouveau actif dans les services de renseignement. Les activités du réseau du Lieutenant Marcel portaient cette fois sur l’espionnage des activités allemandes sur les côtes françaises.
Après la Seconde Guerre, il résida le plus clair de son temps aux Etats-Unis où il avait accompagné la comtesse Kinnoull dès 1940, qui était recherchée par la Gestapo en Europe et avec qui il entretint une amitié qui ne se démentit jamais. Dans le pavillon qu’elle lui avait fait aménager dans sa résidence de Carmel en Californie, il menait ses activités dans une totale indépendance, voyageant fréquemment entre l’Amérique et l’Europe. Il écrivit encore en 1947 un livre sur la piété liturgique en collaboration avec le bénédictin Lambert Beauduin. Il mourut en 1961 à New-York.

Bibliographie

BEAUDUIN, Lambert et DE MOOR, Vincent, La piété liturgique, Montréal, Fides, 1947, 149 p.
DE MOOR, Vincent, Espana, Bruxelles, Bureau Universel de Presse, [1936?], 34 p.
DE MOOR, Vincent et CLAUDEK, L’horreur rouge en terre d’Espagne, Paris-Bruxelles, BUP, avril 1938, 237 p.
DE MOOR, Vincent, L’éveil de l’Afrique. Conférences données à l’Amphithéâtre Descartes de la Sorbonne, Paris, Editions missionnaires, Bruxelles, Librairie de la Grand’Place, 1938, 40 p.
DE MOOR, Vincent, Leur combat. Essais de missionologie. Avec lettre-préface de Son Éminence le Cardinal Baudrillart, Paris, Librairie de la Grand’Place, 1935, 320 p.
DUFAYS, Félix et DE MOOR, Vincent, Les enchaînés. Au Kinyaga, Paris – Bruxelles, Librairie Missionnaire – Librairie de la Grand’Place, [1938], 191 p.
L’EQUIPAGE DE LA CROISIERE BLEUE, La croisière bleue et les missions d’Afrique, Bruxelles, L’Edition Universelle, 1932, 110 p.
LIEUTENANT MARCEL (DE MOOR VINCENT, abbé), La guerre sous l’occupation, Montreal, Fides, s.d., 53 p.
MARCEL (LIEUTENANT), L’autre guerre. Les cahiers du lieutenant Marcel. Adaptation par Luc Mercier, Paris, Maison de la Bonne Presse, 1937, VII, 243 p., Regards sur le dehors, 4
LIEUTENANT MARCEL (DE MOOR VINCENT, abbé), Mes aventures et le mystère de la Libre Belgique, 2e édition, Bruxelles-Paris, Vromant Editeurs, 1919, 159 p.
POUZYNA, I. V. et DE MOOR, Vincent, Petite histoire de la révolution russe, Bruxelles, Edition Universelle, 1938, 398 p.
POUZYNA, I. V. et DE MOOR, Vincent, L’état soviétique et la IIIe Internationale, Paris, Gabriel Beauchesne, s.d., 61 p.

CEGESOMA, Rapport d’activité du groupe de l’abbé Vincent de Moor, agent de renseignement en France et en Belgique + récit plus général sur l’occupation de l’abbé de Moor (“Rapport du réseau lieutenant Marcel relatif aux défenses allemandes de la côte française de la Méditerranée et des côtes hollandaise et belge”), 1940-1944. – 1 cahier + 1 brochure : ms + impr. + 3 photos

Sur lui, voir :

Francis BALACE, « La droite belge et l’aide à Franco », Revue belge d’histoire contemporaine, XVIII, 3-4, 1987, pp. 678-679.
JANSEN, Wouter, Citroën 1919 – 1949. La belle époque, Paris, Histoire et Collections, 2010, 320 p.
Jacques-Robert LECONTE, Aumôniers militaires belges de la guerre 1914-1918, Bruxelles, 1969, pp. 159-160.
Thierry SCAILLET, En suivant « Le Guide » : la formation des chefs au sein de la Fédération des Scouts Catholiques avant la deuxième guerre mondiale, Mémoire de licence en histoire, Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, 1998, p. 249.
André TIHON, Nécrologe du clergé du diocèse de Malines (1813-1961), Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 2004, 277 p. (Centre d’histoire religieuse, Cahier n°1).

(1) Née Enid Hamilton Fellows, éduquée en France, elle épousa en 1923 George Harley Hay-Drummond (1902-1938), 14e comte de Kinnoull. Amatrice de voitures de sport, elle participa à des compétitions et devint aussi pilote d’avion. Elle eut un fils qui mourut quelques mois après sa naissance. Son mari l’ayant trompée et ayant dilapidé sa fortune au jeu, elle refusa de racheter le château familial de son mari mis en vente pour le paiement des dettes et obtint le divorce en 1927. A sa conversion au catholicisme, elle prit le prénom de Claude Marguerite. Après avoir rencontré le pape en au début des années ‘30, elle suivit la suggestion de celui-ci et commença à soutenir les Pères blancs d’Afrique. Elle devint à la même époque actionnaire du Catholic Herald. Plus tard, rejetant l’évolution de Vatican II, elle soutint financièrement les débuts de la Société Saint-Pie X de Mgr Lefèvre. Sur elle, voir : In Memory of Lady Kinnoull: An SSPX Benefactress, Regina Coeli Report, avril 2010, n° 220, p. 5 et Kathleen AMBRO, Wealth, Sorrow, Redemption. The Adventurous Life of a Countess, Positive Waves Publishing, s. l., 2017, 460 p.

(2) Vincent DE MOOR et CLAUDEK, L’horreur rouge en terre d’Espagne, Paris – Bruxelles, BUP, avril 1938, pp. 27–29, 57–74, 86, etc.

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