Témoignage de vie du Père Dominique Lagneau

Le 20 septembre 2024, le Père Dominique Lagneau nous a quittés à l’issue d’une extraordinaire dernière année de mission à la paroisse Sainte-Odile à Paris. Pendant plus de vingt ans, il a exercé différentes fonctions d’enseignement dans notre collège Saint-Michel et d’aumônier au sein de troupes de scouts et à l’UCL à Bruxelles. Puis, tour à tour, prêtre en paroisses et accompagnateur spirituel au séminaire Saint-Yves à Rennes, il a développé beaucoup d’aspects de sa vocation de prêtre jésuite. Dès le début de mes humanités, je l’ai rencontré comme aumônier scout. Il a ensuite été mon professeur de religion en 3ème et 4ème années secondaires en 1997-1999. Nos rencontres ponctuelles ont perduré jusqu’à son décès cet été. Elles m’ont donné l’occasion de lui poser trois questions essentielles dont je me réjouis de vous partager les réponses.
Quel film conseilleriez-vous de faire voir à nos enfants ?
A l’image du Pape François dans sa lettre sur le rôle de la littérature dans la formation, le Père Dominique Lagneau aimait à faire reposer son enseignement sur des œuvres cinématographiques. Cela lui permettait d’ouvrir nos portes d’adolescents aux questionnements, à une certaine méditation, à un certain émerveillement, accessibles par l’intermédiaire du 7ème art. Peu avant son décès, alors que le Père Dominique Lagneau avait rencontré mes enfants à Paris dans sa nouvelle paroisse Sainte-Odile, je lui avais posé la question : Quel film conseilleriez-vous de faire voir à de jeunes enfants ? Père Dominique Lagneau me répondit : « Sans hésiter, ce serait Marcelin, Pain et Vin[i]. Ce film m’a marqué quand je le vis étant enfant. Il m’a profondément interpellé quand j’avais moi-même 5 ans. »
Effectivement, la vie de cet enfant qui, jusqu’à l’âge de cinq ans n’a d’autre compagnie que la douzaine de religieux qui l’entourent, est marquée par deux événements tragiques : son abandon à la naissance et son assoupissement complet dans les bras du Christ. Ce film ouvre bien des questions sur la présence divine, les apparitions, le besoin d’une mère, par exemple.
Quel livre conseillez-vous aux jeunes gens qui se questionnent sur leur vocation ?
La réponse du Père Dominique Lagneau à cette demande de conseil d’un livre de discernement d’une vocation m’est venue tout naturellement en lui parlant d’une lecture de vacances trouvée dans la bibliothèque d’une vieille maison de location. C’est le Journal d’un Curé de Campagne de G. Bernanos qui avait alors attiré mon intérêt. Après lecture, ce livre me semblait si cruellement actuel, que je n’hésitai pas à demander au Père Dominique Lagneau, qui était alors curé doyen de Liffré à Rennes, si ce journal d’un curé de campagne correspondait à sa propre vie. Il me dit alors : « J’apprécie beaucoup Georges Bernanos. Je n’hésite d’ailleurs pas à le conseiller aux jeunes qui se questionnent sur leur propre vocation. »
Sans fard, il conseillait de bien lire et d’apprendre alors aux jeunes gens à quelle âpreté et, également, à quelle splendeur de renoncement et d’abnégation un curé peut s’attendre !
Pourquoi douter de l’existence personnifiée du Mal en présence de tous les abus ?
Cette question a naturellement mûri en moi à la suite de la remise en cause par certains de l’existence du Diable, alors même que d’autres combattaient de profonds et violents abus au sein des institutions catholiques : Pourquoi donc douter de l’existence du Diable en présence de tous ces abus ? Je savais combien le Père Dominique Lagneau avait été persistant et vigoureux dans ses témoignages à Bruxelles, puis à Rennes, contre certains abus. Il m’a répondu avec toute la douceur et la finesse jésuite qui le caractérisaient : « Ces affirmations sont à remettre dans leur contexte. Cette existence du Malin n’est pas évidente, mais le livre La part du Diable de Denis de Rougemont[ii] donne des éléments de réponse. N’hésite pas à le lire. »
De fait, ce livre écrit dans le tragique contexte de la 2nde guerre mondiale décrypte les apparences prises par le Diable, les idées reçues de la diabolisation d’une personne ou d’un camp, et les artifices très actuels utilisés par le Diable pour s’incarner en nous et au sein de nos démocraties.
« Ne dialoguez jamais avec le Diable », nous répète souvent le Pape François. Jusqu’à quelques mois de sa mort, le confesseur Dominique Lagneau le combattait, à sa mesure, jour après jour, en se rendant disponible dans l’humble église parisienne Sainte-Odile pour y donner le sacrement de la réconciliation à tous ceux qui le lui demandaient, en en faisant la démarche jusqu’au bout. Magnifique espérance associée à ce sacrement que le Père Dominique Lagneau nous rappelle dans ses écrits sur Georges Bernanos comme une sorte d’épitaphe : « En chaque nuit luit la Vie ».
[i] Marcelin, Pain & Vin (film de 1955)
[ii] https://www.unige.ch/rougemont/livres/ddr19820500partdia