Que devenez-vous Père Deschuyteneer?
Dans ce numéro, Horizons poursuit sa rencontre des anciens professeurs de rhétorique du Collège. Place aujourd’hui à l’interview du Père Philippe Deschuyte- neer.
Horizons : En vous rencontrant, c’est de suite la figure de titulaire de rhéto qui me vient à l’esprit. Est-ce exact?
Père Deschuyteneer : C’est juste ! Mes trente-quatre années de titulariat se sont déroulées dans des classes de rhétorique. Une année à Tournai, quatre à Bujumbura, huit à Liège et dix-neuf à Bruxelles.
Horizons : A Tournai?
Père Deschuyteneer : C’était en 1955. Deux ans avant le passage de ce collège entre les mains du clergé diocésain. Je venais de terminer mes études de théologie. J’y fus titulaire durant une année à la suite de quoi j’ai fait, comme on dit chez les jésuites, mon « Troisième An » à Florence.
Horizons : A Florence? C’était prémonitoire pour un titulaire qui ferait tous ses voyages de rhéto en Italie !
Père Deschuyteneer : Détrompe-toi, Philippe ! Non seulement, le virus de l’Italie à l’époque ne m’avait pas encore été inoculé, mais en plus, pour des raisons familiales, j’aurais préféré ne pas aller si loin…
Horizons : On parle un peu de votre famille alors?
Père Deschuyteneer : Je suis d’une famille de huit enfants mais deux enfants deux garçons -sont décédés à peine nés. Nous sommes restés trois garçons et trois filles. Je dois beaucoup à mes sœurs. Elles sont une des « grâces » de ma vie car j’ai eu avec elles le bonheur de beaucoup parler et échanger sur nos raisons respectives de vivre. Deux de mes sœurs sont encore en vie. Je me sens toujours proche d’Anne-Marie. Elle est décédée il y a deux ans et tu peux voir sa photo sur mon bureau.
Horizons : Vous êtes originaire de Charleroi?
Père Deschuyteneer : Oui je suis un Carolo ! J’ai fait mes primaires et mes humanités au Collège du SacréCœur. Notre père était ingénieur aux ACEC (Ateliers de Constructions Electriques de Charleroi). En 1941, l’année où je commençais ma rhéto, mon père fut envoyé à Liège. Malgré cela, je suis demeuré au Collège du Sacré-Cœur pour terminer mes humanités. Je logeais chez une de mes grands-mères. Mais, comme professeur, je n’ai jamais enseigné à Charleroi ! Un comble !
Horizons : Après le collège de Tournai, où avez-vous été?
Père Deschuyteneer : Je suis allé à Bujumbura de 1957 à 1961. Titulaire de rhéto dans ce collège interracial, créé par la Compagnie sous les auspices de l’Autorité tutélaire de la Belgique. C’était un bâtiment remarquable avec un projet tout aussi remarquable : un collège ouvert à tous où se côtoyaient Tutsis, Hutus et Européens. Il y avait plus de Tutsi que de Hutus et les Blancs étaient peu nombreux. Comme le diplôme étant homologué par Bruxelles, nous devions suivre le programme scolaire belge avec, entre autres, de l’histoire de Belgique et du Néerlandais à enseigner aux autochtones !… En coulisse, on sentait parfois les tensions se raviver entre Tutsis et Hutus et du Congo voisin on vivait les veilles tumultueuses de l’indépendance. En 1962, je suis revenu en Belgique et mon port d’attache fut alors le Collège St-Servais de Liège.
Horizons : Un souvenir de St-Servais?
Père Deschuyteneer : Un grand ! Outre ma responsabilité de titulaire de rhéto, le directeur de St-Servais m’avait confié la responsabilité de la salle de cinéma attenant au collège. Je m’y suis investi corps et âme et je suis devenu cinéphile… passant un temps considérable à visionner des films, à sélectionner les meil- leurs, à les faire projeter dans la salle, à les étudier, à les présenter, à les commenter et en débattre avec un public adulte, une fois par semaine. C’était l’époque des ciné-forum. Je devins quelque peu spécialiste et en arrivant à Bruxelles en 1970, on me demanda de faire partie de la Commission catholique de cotation des films. Toute une époque !…
Horizons : C’est en 1970 que vous arrivez à Bruxelles?
Père Deschuyteneer : Oui… et j’y suis toujours ! Je ne croyais pas vivre si vieux ! J’ai 87 printemps : « Je suis arrivé au crépuscule de mon existence ! » je cite l’ancien ministre Michel Dardenne ! …mais moi, je précise : « au crépuscule de mon existence terrestre » !
Horizons : De vos dix-neuf années de titulariat de rhétorique à St-Michel, qu’en dites-vous?
Père Deschuyteneer : Je recommencerais volontiers ! Etre professeur pour moi, c’était découvrir et partager avec mes rhétos des moments et des lieux d’admiration et d’enthousiasme à travers l’étude d’un texte, que ce soit en français, en latin ou en grec. J’avais aussi un cours d’art : discipline par excellence pour éveiller l’admiration. Sans oublier la messe de classe hebdomadaire où Dieu rejoint l’humain.
Horizons : Père Deschuyteneer, vous n’oubliez pas les voyages de rhéto?
Père Deschuyteneer : Sûrement pas ! C’était des moments privilégiés pour éveiller le goût et l’enthousiasme et surtout pour nouer des liens avec les rhétos et les professeurs qui accompagnaient ces voyages. C’était toujours pendant les vacances de Pâques et en Italie et on s’arrêtait dans les auberges de jeunesse pour baisser les coûts de ces voyages. Même le logement des profs était en chambrée avec les élèves !… Au fil du temps, je suis devenu l’ami des responsables des diverses Auberges de Jeunesse. Ce qui me fut souvent utile. Mais je n’oserais pas dire que l’Italie n’a plus de secret pour moi : elle est inépuisable !
Horizons : Et aujourd’hui, je crois savoir que vous organisez toujours des voyages?
Père Deschuyteneer : Oui, mais avec un autre public ! Un public d’adultes : des connaissances, des anciens élèves ou des parents de mes anciens. Nous sommes toujours une quarantaine environ. Mais les destinations ont changé : Andalousie, Jordanie, Grèce, Maroc, etc. et cette année, ce sera Malte ! Avec l’âge, je me dis chaque année que c’est la dernière fois…et guider des aînés demande parfois aussi plus de diplomatie que d’autorité.
Horizons : Mais durant vos années d’enseignement, vous avez été aussi aumônier scout?
Père Deschuyteneer : Effectivement pendant plus de vingt ans et même après avoir quitté l’enseigne- ment, j’ai été l’aumônier de la 4ème . Pour la petite histoire, j’ai fait mon dernier camp sous tente à 84 ans. Aujourd’hui ce n’est plus de mon âge !… J’ai de très bons souvenirs du scoutisme mais ce qui marque encore plus mon histoire personnelle ce sont mes années d’avant le scoutisme, comme chef de camp à l’AEP (Aide aux enfants des prisonniers). J’ai été conduit dans ce milieu par le hasard de la vie. Je fus un temps à Leuven aumônier du Cercle de Droit et un des étudiants qui devait être chef de camp n’a pu le faire au dernier moment. Au pied levé on m’a demandé de le remplacer et je suis resté finalement chef de camp pendant vingt-six ans. C’était une œuvre « neutre » et je devais donc y cacher mon identité jésuite et sacerdotale. Chaque année, le camp se déroulait en juillet ou en août à Oostduinkerke. Les enfants étaient au nombre d’une centaine. Leur recrutement s’est élargi : d’enfants de prisonniers à orphelins de guerre, à enfants des travailleurs des services publics. Il y eut même une année une tentative avec des jeunes prisonniers du Centre de St-Hubert. Pour l’encadrement de ces camps (qui duraient un mois) je recrutais parmi mes anciens élèves, à Liège ou à Bruxelles. Je garde des souvenirs extraordinaires de ce service fait en commun avec mes anciens. Nous découvrions parmi les vacanciers des gamins que la vie avait moins favorisés que nous. Des souvenirs cocasses aussi quand il fallait apprendre à ceux qui me connaissaient de l’enseignement à éviter à tout prix qu’ils m’appellent « Père » et à lui préférer « Flup ».
Horizons : Père Deschuyteneer, vous êtes toujours un passionné de littérature?
Père Deschuyteneer : Beaucoup moins qu’avant. Maintenant c’est plutôt la théologie et l’histoire de l’Eglise qui m’attirent. Je profite de la Bibliothèque de l’I.E.T (Institut d’Etudes Théologiques) ici dans la maison. C’est pour consolider, éclairer, élargir ma théologie et m’aider aussi dans mes prédications. J’ai été pendant six ans prédicateur à l’église de La Cambre. Je le suis de temps en temps ici à l’église du collège et deux fois par semaine à la chapelle du shopping de Woluwé.
Horizons : Père Deschuyteneer, un tout grand merci pour cette interview dans Horizons. A mon avis, beaucoup de vos ancien(ne)s seront content(e)s de vous « retrouver ».
Père Deschuyteneer : Un grand bonjour à eux !