Le Marquis de Pombal

Michel Jadot (ads 1970), ancien rédacteur de votre revue Horizons, poursuit sa quête sur les traces du Marquis de Pombal dont nous avons fait la connaissance dans le numéro précédent d’Horizons. Style épistolaire pour une découverte remplie d’humour et d’érudition qui se prolongera, pour notre plaisir, dans nos prochains numéros.  Direction Portugal !

Mes très chers amis,

Comme j’ai eu l’occasion de vous l’écrire, il me fut donné de visiter ce qui fut l’Université jésuite du Saint-Esprit, à Evora, fermée en 1759, suite à l’expulsion des jésuites du Portugal par le fameux Marquis de Pombal, leur grand ennemi. Devenu très puissant de la manière qu’on a dite[1], il les avait pris en grippe. Son ire à leur endroit était-elle totalement injustifiée ? La question mérite d’être posée et je la pose, sans toutefois m’aventurer au-delà…[2]

Je me proposais de vous parler de cette remarquable université lorsque je fus distrait de mon travail par ce personnage fort singulier auquel je consacrai une lettre entière. C’est avec plaisir que je reviens à présent sur le sujet dont je voulais vous entretenir initialement.

Sachez que l’université existe toujours et fonctionne à nouveau depuis 1973, non plus sous la houlette des Bons Pères mais sous celle de l’État, quoiqu’ayant conservé les symboles (comme le logo de l’université), les lieux et la filiation des origines.

Mais d’abord, laissez-moi évoquer la petite ville d’Evora, une cité classée au patrimoine mondial de l’UNESCO comme on se plait ici à le répéter : la splendeur des bâtiments de l’université n’est pas étrangère à ladite classification. Evora est un haut-lieu du tourisme portugais. L’université en est un passage obligé, au même titre que le temple romain dit « de Diane » et la cathédrale.

La bourgade est construite sur une colline : il vous faut pour la parcourir, être doté de mollets vigoureux et d’un bon sens de l’équilibre.

Les rues sont en effet un peu tortueuses et recouvertes de petits pavés assez inégaux sur lesquels il convient de marcher avec prudence afin de ne pas se tordre la cheville. Ces pavements sont parfois de plusieurs couleurs (souvent noirs et blancs) et agencés de façon à créer une forme géométrique ou figurative. On les nomme alors des calçadas.

Les rues sont extrêmement calmes et les façades des maisons sont blanches avec ou sans bande bleue sur le pourtour, comme la plupart des habitations et des édifices en Alentejo et dans d’autres régions du Portugal. Ce calme et cette blancheur, couleur de pureté dans la lumière du soleil d’été, sont propices à la paix de l’âme, au repos et à l’étude pour ceux qui la pratiquent.

Succédant au Collège jésuite du Saint-Esprit, l’Université jésuite d’Evora (Alma Studiorum Artiumque Universitas Eborensis – Universidade do Espirito Santo) fut fondée en 1559 par le cardinal infant Dom Henrique qui deviendra Roi du Portugal, pas moins. Cette université fut avec celle de Coimbra l’une des plus fameuses du Portugal[3].

Parmi les personnalités remarquables liées à cette université, on compte les trois jésuites Luis de Molina (1535-1600)[4], Pedro de Fonseca (1528-1599) [5]et Saint François Borgia (1510-1572)[6].

L’université se trouve à l’intérieur de l’enceinte de la vieille ville.

Une église éponyme y est attenante. Vous en apercevez le clocher sur la photo ci-dessous. Lorsque vous arriverez près de l’université vous remarquerez les trois lettre IHS si familières, posées en couleur dorée sur plusieurs façades blanches. Vous saurez que vous n’êtes plus très loin.

Lorsque vous franchirez le mur d’enceinte vous apercevrez un porche qui traverse un premier bâtiment et au-delà de ce porche vous devinerez un grand espace de la forme d’un quadrilatère au milieu duquel est une fontaine en marbre blanc ivoire d’où jaillit gaiement une eau fraîche et limpide.

Il vous faudra acquitter un droit d’entrée de pas moins de trois euros à la billetterie sise sous le porche, pour pouvoir le franchir. Vous voilà dans le quadrilatère dont la façade intérieure est tout simplement magnifique. Elle se développe sur deux étages. Un couloir ouvert donne sur le patio intérieur dont il est séparé par une colonnade, rappelant la configuration d’un cloître, si ce n’est que l’on trouve ledit couloir ouvert au premier comme au rez-de-chaussée. Une barrière métallique court entre les colonnes de façon à épargner aux étourdis de basculer dans le vide.

Le lieu est sublime. Nous avons visité toutes les classes du rez-de-chaussée : chaque classe comporte une douzaine de rangées de bancs. Sur le côté se trouve une chaire à laquelle le professeur accède par un escalier latéral. Cette chaire est parfois surmontée d’une sorte de dais qui bien sûr ne sert pas à le protéger du soleil ou de la pluie, mais tout simplement à lui conférer une souveraineté pédagogique propre à lui faciliter l’enseignement ex cathedra.

A côté de la porte, du côté extérieur, se trouve mentionnée la matière enseignée dans la classe : mathématiques, philosophes grecs, littérature, etc. … On trouve ainsi les classes suivantes (dont je vous épargne les traductions):

  • Aula de Géneros Literários
  • Aula de Latim « Bucólicas »
  • Aula de Geometria e Astronomia; il est intéressant de voir que ces deux disciplines ont été regroupées dans la même classe, révélant la conception spécifique de l’univers de l’époque.
  • Aula da Sagrada Escritura
  • Aula de « Eneida »
  • Aula de Filosofia Grega
  • Aula de Física
  • Aula de Filosofia Metafísica
  • Aula de Geografia
  • Aula Conselho Universitário, Sala Geral de Theologia

Auxquelles s’ajoutent

  • Secretaria « Cenas de Campo, Pesca e Caça » (secrétariat « scènes champêtres de chasse et de pêche »)
  • Aula « Cenas de Campo, Pesca e Caça »
  • Aula « Cenas de Caça »
  • Aula « Meses do Ano, e Signos do Zodíaco »

Si les programmes ont sans doute été un peu retouchés … (on a par exemple ajouté un cours d’informatique), on voit que les cours donnés aujourd’hui n’ont rien à envier à ceux d’alors et que ces derniers gardent toute leur actualité dans une faculté de philologie classique par exemple.

Reflétant la vision holistique de l’enseignement, la décoration des salles de classe correspond aux matières y enseignées :

Ainsi sur tout un mur de la classe de physique est reproduite magistralement et avec force détails, la scène de l’expérience de Magdebourg, dans laquelle les deux hémisphères accolées, à l’intérieur desquelles on a fait le vide tiennent fermement ensemble sans pouvoir être séparées, bien qu’attelées chacune à pas moins de six chevaux que fouettent à l’envi, dans un effort conjoint, plusieurs cavaliers, cochers, palefreniers et autres garçons d’écurie.

Dans une autre classe dans laquelle on enseigne les philosophes grecs, c’est une scène de leçon donnée par Aristote qui nous est proposée. On y voit Aristote entouré de ses élèves. Les costumes ne correspondent peut-être pas tout à fait à ceux du IVe siècle avant JC, mais qu’importe. Ces représentations de couleur généralement bleue, sur carrelage à fond blanc se nomment azulejos. Elles sont, comme les calçadas très caractéristiques du pays.

On observera que les murs de la salle d’informatique ne sont pas recouverts d’azulejos ; ils sont de couleur blanche unie, indiquant par là que le savoir aujourd’hui ne se transmet plus par l’image ou la communication verbale comme du temps d’Aristote, mais par les ondes invisibles et impalpables qui se propagent silencieusement jusqu’à nos téléphones et autres tablettes, dans l’espace…

A l’entrée du bâtiment est un hall dont les murs sont couverts de peintures remarquables dont un dais, honneur symbolique au savoir cultivé et transmis ici.

Il est une salle dans laquelle nous avons jeté un coup d’œil par l’encoignure de la porte sans y pénétrer car elle était occupée par des personnes en apparence considérables, alignées sur un banc, semblant s’adresser à un public d’étudiants leur faisant face, assis sur plusieurs rangées.

Nous avons pensé qu’il s’agissait peut-être d’une proclamation des résultats car, nous tenant un peu à l’écart et observant, à la façon d’un concierge, ceux qui sortaient de la salle, nous remarquâmes la mine réjouie des uns et celle, déconfite, des autres. Ceci n’est toutefois qu’une hypothèse qu’aucune information fiable n’est venue corroborer.

Ce qui est sûr, c’est que cette salle était l’église primitive et qu’elle est aujourd’hui la Sala de Atos (la salle des Actes). Sans que l’on sache exactement son usage, c’est certainement un haut lieu de l’université.

Ainsi que me l’a fait remarquer Édouard, ces lieux calmes sont très inspirants pour les étudiants qui ont le privilège d’y faire leurs études. La photographie ci-dessus nous montre un couloir qui nous rappela les couloirs de notre cher Collège Saint-Michel.

Il se trouve cependant à l’université un endroit où des corridors se croisent à angle droit et qui est en quelque sorte le centre géographique de ce monde universitaire. Cet endroit est particulièrement bien décoré avec des statues et des tableaux.

Une autre pièce remarquable est la bibliothèque. Le plafond a la forme d’un caisson et est peint de motifs exquis sur toute sa longueur.

Le sol est fait d’un plancher de bois ancien. Il craque lorsqu’on s’y déplace et nous nous fîmes aussi discrets que possible, car une dizaine d’étudiants y étaient absorbés dans diverses études et ne souffraient pas le bruit.

Chaque endroit de cette université respire le calme, la paix et est propice à l’étude. Y étudier doit être un grand privilège.

Parmi les 36 Docteurs honoris causa de l’université citons en neuf plus connus du grand public international:

Michelle Bachelet Claude Allègre Amin Maalouf
Jordi Savall Prince Aga Khan José Saramago
Mario Soares Reine Sophie Leopold Sedar Senghor

Il ne s’agit pas des premiers venus !

En sortant de l’université,  de nombreux sites intéressants à visiter s’offrent à votre curiosité :

  1. Centro Historico de Evora `
  2. Templo Romano de Evora
  3. Catedral de Evora
  4. Museu de Evora (couvrant l’histoire depuis l’époque romaine)
  5. Museu do Relogio
  6. Forum Eugenio de Almeida (arts plastiques)
  7. Jardim de Diana
  8. Capela dos Ossos, dont un empilement invraisemblable d’ossements et de cranes dont on se passerait bien sauf à posséder un esprit un peu morbide
  9. Sans oublier un excellent centre de dégustation de vins de la maison Cartuxa (prononcez Cartoucha), une des meilleures du pays et le restaurant y attenant (Fundaçao Eugenio de Almeida)

Tous ces lieux sont soit contigus ou très voisins et peuvent donc se visiter aisément à pied. L’ensemble mérite qu’on y passe au moins deux jours.

Voilà, très chers amis, ce que j’ai eu la chance de voir et de visiter et dont je souhaitais vous faire part.

En todo … ,

[1] Voir lettre 3

[2] Quoique je vous confesse ne pas vouloir exclure  en mon for intérieur, qu’un certain nombre de jésuites de cette époque aient eu un caractère parfaitement irritant.

[3] Source : Wikipedia

[4] Luis de Molina est né dans une famille de la noblesse castillane en 1535, il rejoignit à l’âge de 18 ans à Alcalà la Compagnie de Jésus, récemment fondée par Ignace de Loyola (1540). Il étudia la théologie et la philosophie à l’université de Coimbra au Portugal. Il devint par la suite professeur à l’université d’Évora. En 1590, après vingt ans d’enseignement, particulièrement dédiés à l’approfondissement de la Somme de saint Thomas d’Aquin, il se retira à Cuenca. On lui attribua en 1592 une chaire de théologie morale à Madrid.

[5] Pedro da Fonseca, jésuite, théologien, philosophe et écrivain portugais, surnommé l’Aristote portugais, né en 1528 au village de Proença-a-Nova, mort le 4 novembre 1599 à Lisbonne.

[6] Saint François de Borgia (en espagnol : Francisco de Borja y Trastámara), né à Gandie, dans le royaume de Valence (Espagne), le 28 octobre 1510, et mort à Rome le 30 septembre 1572, est un duc de Gandie, qui fut grand d’Espagne et vice-roi de Catalogne. Entré dans la Compagnie de Jésus en 1546 il en fut le 3e Supérieur général de 1565 à sa mort. Canonisé par le pape Clément X en 1671

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