Interview de Jean-Philippe Altenloh  (Ads 1978), au parcours professionnel atypique

Horizons : Bonjour Jean-Philippe Altenloh, vous êtes un ancien du collège, au parcours professionnel atypique. Comédien et en même temps entrepreneur de pompes funèbres. Parlons d’abord du comédien.

Jean-Philippe Altenloh (JPhA) : Je tiens ma fibre littéraire et théâtrale du collège St-Michel et en particulier de deux professeurs qui m’ont marqué : Etienne Smoes et Michel Angenot.  En 5ème Humanités gréco-latines – en Poésie, comme on disait autrefois – mon titulaire était Monsieur Smoes. Il m’a fait découvrir la littérature et la poésie françaises. Je peux même dire que son enseignement a marqué et déterminé ma vie car il m’a initié et ouvert à la beauté des textes comme ceux de Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Apollinaire etc. mais aussi à ceux des littératures latine et grecque.  Quant à mes premiers pas au théâtre, je les ai faits au collège grâce à Monsieur Angenot. Il était alors professeur de français en 5ème – aujourd’hui, on dit 2ème -. Il avait écrit une pièce de théâtre : « Un fait divers peu banal ». C’était un crime. La pièce : le procès. Et je jouais le rôle du procureur général.  A posteriori, je peux dire que jouer cette pièce fut pour moi un déclic et j’en serai éternellement reconnaissant à Michel Angenot avec lequel je garde des liens et qui vient parfois me voir jouer à Bruxelles quand il est de passage en Belgique.

Dans un fait divers peu banal (A St-Michel en 1975)

Dans un fait divers peu banal (A St-Michel en 1975)

Horizons : Au sortir du collège, que faites-vous alors comme études ?

JPhA :  A vrai dire, je n’ai pas réussi ma 5ème latine. J’étais très bon dans les branches littéraires mais nul pour le reste et en plus le Père Wankenne, préfet de l’époque, ne m’estimait guère… Je suis donc parti doubler ma 5ème au Collège Don Bosco et terminer là-bas mes humanités. C’était une ambiance toute différente de St-Michel. Mais le redoublement m’a fait gagner en maturité et c’est là que s’est scellée ma vocation de comédien, car à Don Bosco, il y avait un Cercle d’Art Dramatique et dans ma classe, j’ai fait la connaissance de Bernard Yerlès, tout comme moi passionné de théâtre et qui plus tard est devenu comédien et metteur en scène.

Horizons : Et donc après Don Bosco, que faites-vous ?

JPhA : Je m’inscris au conservatoire de Bruxelles en arts dramatiques et je réussis l’examen d’entrée, grâce à ma motivation et à ma préparation guidée par Michel de Warzée que j’avais comme professeur à l’Académie de Woluwe-St-Pierre. Nous étions 150 candidats pour 30 places à pourvoir. A cette époque, le cycle d’études était de 3 ans, nous avions des cours d’arts dramatiques, de déclamation, de phonétique, d’expression corporelle. Nous travaillions et jouions des scènes sous les yeux avisés et critiques de nos professeurs. Mais avant de rentrer au conservatoire – ceci pour annoncer les origines de ma seconde profession !  – pendant les vacances scolaires, je décide de faire un job d’étudiant comme chauffeur de corbillard dans une entreprise de pompes funèbres que mes parents connaissaient.

Horizons : Vous vouliez vraiment être chauffeur de corbillard ?

JPhA : Oui, aussi bizarre que cela puisse paraître, C’était cela et rien d’autre. Mais à dire vrai, je ne l’ai pas été immédiatement. Car quand je me suis présenté chez Monsieur Roland Michel, l’entrepreneur de pompes funèbres, il fut étonné et me précisa que la conduite d’un corbillard exigeait un apprentissage.

 Et dès lors, ma première journée consista à porter le cercueil d’un défunt – je me rappelle encore l’église : c’était à l’église Ste Catherine –  et l’après-midi à trois mises en bière à la morgue d’une clinique de Bruxelles. La conduite de corbillard fut remise à plus tard car tout en faisant mes études de comédien, et même après, j’ai continué à travailler dans l’entreprise de Monsieur Michel.

Horizons : Et malgré vos études et vos rôles au théâtre, vous avez pu concilier théâtre et entreprise de pompes funèbres ?

JPhA : Oui, car Monsieur Michel m’a toujours soutenu et aidé à mener de front mes deux métiers. De plus, il faut savoir que le métier de comédien n’est pas une profession à temps plein mais un travail saisonnier. Les représentations théâtrales commencent généralement en septembre ou octobre et avant cela, évidemment, il y a les répétitions. Moi, je joue habituellement 2 pièces par saison et tout se termine en avril, mai ou juin.  Beaucoup d’acteurs sont comme moi, ils ont un autre métier à côté. La plupart travaillent dans des studios pour réaliser des publicités ou des doublages tandis que d’autres sont enseignants. Moi je n’ai jamais été tenté par ces métiers, mon autre passion est en rapport avec les funérailles. Et une fois encore, mon patron Monsieur Michel m’a facilité mon emploi du temps.

Horizons : Comment ?

JPhA : Un jour, il m’a appelé et m’a proposé de faire autre chose que la conduite d’un corbillard : être responsable dans son entreprise des contacts avec les familles. J’ai réfléchi quelques jours mais comme il me donnait la possibilité de continuer mon métier de comédien, j’ai accepté. Mon travail prenait alors une autre orientation : celle des rencontres humaines avec les familles endeuillées Les écouter dans leurs particularités et leur histoire. Avoir de l’empathie avec elles, leur témoigner du respect et manifester une compétence professionnelle dans la gestion des funérailles de leur défunt. J’ai exercé ce métier comme employé pendant 25 ans.  Puis en 2010, j’ai quitté l’entreprise Michel et avec Charles Greindl nous avons fondé notre propre entreprise funéraire (Altenloh & Greindl).

Horizons : Mais n’est-ce pas difficile de cumuler ces deux métiers et y a-t-il un lien entre comédien et entrepreneur de pompes funèbres ?

JPhA : D’une part, cumuler les deux métiers est possible grâce à mon entourage professionnel qui dans l’entreprise m’aide à être présent sur les deux tableaux. C’est une question d’organisation et comme je l’ai déjà dit :  être comédien n’est pas un travail à temps plein. D’autre part, pour moi, ce sont plus que des métiers. Ce sont des vocations. La première a été et est d’être comédien. La seconde s’est développée à partir de mon job d’étudiant dans une entreprise de pompes funèbres, ma famille n’appartenant pas à cet univers-là. Ce sont des bijoutiers, des joailliers. Oui, il y a des « vases communicants » entre théâtre et entreprise funéraire. Ce sont des lieux où je dois m’adapter, créer du lien, me mettre au niveau de l’autre : la famille endeuillée ou le personnage théâtral. Dans mon entreprise de pompes funèbres, je m’occupe plus de vivants que de morts. Au théâtre, j’incarne du vivant même si c’est de la fiction.

Horizons : Revenons à votre carrière d’acteur. Quand débute-t-elle ?

JPhA : J’ai joué mon premier rôle au théâtre lors de ma seconde année au conservatoire. Durant cette formation, lors des examens, vous jouez des scènes devant vos professeurs, des directeurs de théâtre ou des metteurs en scène et c’est là que vous pouvez être repéré et puis appelé. Durant mes études, j’ai eu le bonheur d’avoir d’excellents professeurs qui m’ont marqué : Michel de Warzée qui me prépara à mon entrée au Conservatoire, directeur aujourd’hui de la Comédie Royale Claude Volter, Claude Etienne, fondateur du Rideau de Bruxelles, c’est lui qui me paya mon premier cachet en 1980 et surtout Bernard De Coster, un metteur en scène talentueux avec qui j’ai eu la chance de travailler à plusieurs reprises. Mort trop jeune hélas, à 36 ans. C’était un ancien du collège, comme Michel de Warzée d’ailleurs.

Horizons : Quel répertoire a vos préférences ?

JPhA :  Grâce à mon professeur Etienne Smoes qui m’a donné le goût du théâtre classique.  J’aime ce type de théâtre, j’ai besoin d’un théâtre de textes. La liste serait longue mais il me vient à l’esprit : « La ville dont le prince est un enfant » de Montherlant – mais on ne joue plus Montherlant aujourd’hui –, « Cyrano de Bergerac » de Rostand ;« Le Comte de Monte Cristo »  de Dumas, dans une adaptation de Thierry Debroux au Théâtre du Parc où je jouais le rôle d’un procureur général. Un rôle qui m’a fait penser à mon premier rôle de procureur joué au collège dans la pièce de Michel Angenot. Je lui ai téléphoné, il est venu me voir et nous avons passé un bon moment ensemble après la pièce…

Dans ‘Le Comte de Monte-Cristo’ (Théâtre du Parc sept. 2024)

Horizons : Nous sommes en avril 2025 aujourd’hui. Quelle sera la prochaine pièce que vous jouerez ?

JPhA : Pour le moment, je me repose, façon de parler parce que mon autre activité me tient éveillé 365 jours par an, mais je ne suis pas inquiet. Quand on est un comédien chevronné, on a tissé, au long des années, un réseau de connaissances et d’affinités. Un directeur de théâtre ou un metteur en scène pourrait donc m’appeler et me proposer un rôle dans une pièce. Je vais alors lire le texte et accepter ou refuser ce rôle. Si j’accepte, je vais étudier mon rôle puis viendront les longues semaines de répétitions et puis les soirées du spectacle. Je précise toutefois que pour un comédien qui commence, le processus est beaucoup plus compliqué. Il faut accepter la proposition pour se faire connaitre et se créer une réputation.

Horizons : Pour conclure cette interview, j’ai appris que vous êtes aussi membre du Cercle gaulois et Président de sa section « arts et littérature ». Pouvez-vous donner quelques explications ?

JPhA : Oui, c’est ma troisième vie. Dans sa forme actuelle le « Cercle royal gaulois artistique et littéraire » est la fusion en 1950 de deux cercles plus anciens : le Cercle artistique et littéraire fondé en 1847 et le Cercle gaulois créé en 1911. Le Cercle gaulois dans son ensemble compte environ 1300 membres, la section artistique et littéraire a une centaine de membres artistes de toutes disciplines. La finalité du Cercle comme l’exprime sa charte est : « la poursuite de l’excellence dans la rencontre amicale et le respect absolu de l’autre, la recherche permanente du Beau, du Bien et du Vrai ». Au Cercle gaulois, il y a des activités tout le temps et chaque membre peut y retrouver ses centres d’intérêt ou en découvrir d’autres. J’y suis rentré en 1999 sur invitation de Jacques Leduc, compositeur, musicien, et recteur à l’époque de la Chapelle musicale Reine Elisabeth.

Dans ‘Le Comte de Monte-Cristo’ (Théâtre du Parc sept. 2024)

Horizons : Monsieur Altenloh, je vous remercie d’avoir partagé pour Horizons vos « trois » vies. Bonne continuation !

Philippe Stiévenart

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