Interview d’Alain Deneef (ADS 1978)

Nous reproduisons ici l’interview de notre ami Alain Deneef (ads 1978), ancien Président de l’AESM et actuel Président de l’Union Mondiale des Anciens Elèves des Institutions jésuites (WUJA). Cette interview a été publiée dans le journal « Dimanche » du 1er mars 2015. Nous remercions Mme Clotilde Nyssens et M. Jean-Jacques Durré pour leur aimable autorisation de reproduction.

Alain DeneefLa spiritualité ignatienne est riche

Alain Deneef a été numéro 2 de Belgacom (devenu Proximus), pour ensuite occuper le poste de président de la SNCB. Au cours des dernières années, il a diversifié ses activités et anime des groupes de réflexion et de pression. Son objectif: contribuer avec modestie à changer le monde.

Dans cette optique, cet ancien élève des jésuites, entend bien mettre à profit la spiritualité ignatienne qui lui a été enseignée. Il est actuellement président mondial des anciens élèves des jésuites, une structure pyramidale qui regroupe toutes les associations nationales d’anciens élèves, qui se rattachent chaque fois à une école jésuite. “Dans le cas de la Belgique, nous avons une fédération francophone et une fédération flamande des anciens élèves des jésuites. Il existe aussi une confédération européenne et l’Union mondiale que j’ai la chance de présider”, explique-t-il. Les anciens élèves développent une série d’activités qui peuvent être extrêmement différentes. “Au niveau local, c’est inévitablement, les retrouvailles annuelles ou parfois plus espacées dans le temps qui permettent à chacun de venir se plonger dans l’ambiance de l’école qu’il a connue mais, dès qu’on monte un peu dans la hiérarchie, on a plus affaire à des projets que développent des anciens élèves, qui sont souvent des projets en rapport avec la Compagnie de Jésus. Soit aider celle-ci dans ses missions d’enseignement, soit organiser des actions auprès des plus pauvres ou des réfugiés ou en matière de formation continuée. Ce sont des actions qui ont trait, soit à l’activité professionnelle des anciens élèves, soit à la spiritualité qui peut les animer. Et la spiritualité ignatienne est riche en la matière”, poursuit Alain Deneef.

On affirme que lorsqu’on est passé par les jésuites, on est formé dans un moule. Retrouvez-vous le même mode de pensée chez vos collègues d’autres pays et notamment dans cette Union mondiale ?

Le sentiment d’appartenance à cette tradition et la reconnaissance entre les anciens est une question souvent débattue et parfois mal posée. Il est vrai que lorsque vous avez une discussion un peu approfondie avec quelqu’un, vous pouvez arriver à identifier la personne comme étant sortie d’une école jésuite. Il m’est arrivé très souvent de tenter le coup et de dire à la personne: “Où avez-vous fait vos études?” Et deux fois sur trois, j’avais raison, elle venait d’un collège jésuite. Le mode de pensée, la manière de raisonner sont assez caractéristiques: ce sont à la fois un mélange de capacité d’analyse et, plus encore, de synthèse. La primauté du verbe dans les écoles jésuites, n’est pas un vain mot. C’est une capacité d’envisager les problèmes avec, à la fois un peu de distance critique mais, très souvent, avec bienveillance. Tous les anciens élèves sont loin d’être des gens parfaits. Il y a aussi de fieffés gredins dans nos rangs, comme partout. Mais ce sont vraiment ces capacités d’analyse et de synthèse, d’une part, et puis cette manière bienveillante, tout en étant critique, d’aborder les problèmes, d’autre part, qui caractérisent l’ancien élève des jésuites.

Vous dites qu’un des défis est de changer le monde avec modestie, à la fois dans votre approche et dans l’ambition de vos objectifs. De quoi s’agit-il?

Vouloir changer le monde avec modestie, j’espère que les anciens élèves s’y attellent ne fût-ce qu’un tout petit peu. Mais cette espèce de tension féconde, c’est un des charismes de la Compagnie de Jésus. Faire des choses objectivement extraordinaires, mais sans jamais penser qu’elles le sont, en démarrant très souvent modestement, voire petitement et en remerciant le Seigneur de voir, qu’après un certain nombre d’années, l’arbre a donné des fruits. C’est cette tension presque dialectique que je trouve très particulière à la Compagnie de Jésus. Sur la question de l’articulation de cette tension au niveau de l’union mondiale des anciens élèves jésuites, il faut préciser que le principe de subsidiarité doit s’appliquer. Il ne faut surtout pas qu’une fédération nationale, une confédération européenne ou l’Union mondiale essaient de se substituer à une association locale pour mener des projets sur le terrain. Par contre, dès que ces projets ont un caractère international, vous devez avoir des gens qui se parlent d’un pays à l’autre. Tout l’art est de trouver le bon endroit pour positionner un projet pour qu’il ait la plus grande chance de réussite.

Vous animez des groupes de réflexion et de pression. C’est interpellant.

On pourrait peut-être résumer le tout en parlant de coalition. Dans ce contexte qui est le nôtre aujourd’hui, les problèmes sont complexes et donc les réponses ne sont jamais simples et ne peuvent pas venir d’une seule personne ou d’un seul groupement d’intérêts voire même d’un seul gouvernement. La logique de la coalition, dans une thématique donnée, consiste à amener autour de la table des gens qui peuvent être très différents, qui peuvent aussi ne pas se connaître ou s’être affrontés et les convaincre qu’ils peuvent faire taire leurs différences pour tenter d’atteindre un objectif commun. Il y a quelques années, avec quelques amis, nous avions organisé les Etats généraux de Bruxelles qui se voulaient une réflexion citoyenne. Nous avons quand même mobilisé trois mille personnes dans la capitale, pour réfléchir à l’identité de notre ville-région et de son futur. Il y avait autour de la table plusieurs associations bruxelloises, mais aussi le patronat, les syndicats, les groupes de cultures, les groupes environnementaux… Cette “coalition” a réussi à créer une conscience importante à Bruxelles et à mettre à l’agenda du monde politique bruxellois un certain nombre de choses importantes à propos desquelles des progrès ont été faits.

En Belgique, ce n’est pas facile d’établir des coalitions. Les mentalités évoluent-elles?

Les coalitions sont encore neuves. C’est plutôt de concertation dont il faut aujourd’hui parler en Belgique. La concertation sociale y est tout à fait organisée et institutionnalisée comme en Allemagne. C’est beaucoup moins le cas en France. C’est aussi une question de culture. Une caractéristique très forte de l’Allemagne est qu’il y a une conscience plus aigüe du collectif. Davantage qu’en Belgique. Et bien plus qu’en France qui est un pays beaucoup plus individualiste. Chez nous, mais plus encore en Allemagne, on n’essaie pas en permanence de se mettre à la place de l’autre. Ce qui veut dire que, chacun ayant sa partition à jouer dans l’orchestre, vous avez de meilleure chance que l’orchestre joue juste, si chacun renonce à s’accaparer le rôle du premier violon. Mais dans cette matière, je pense que la Belgique est un pays qui peut faire mieux.

Vous parlez de coalition, mais le monde politique y est-il sensible?

Ce n’est pas en ne faisant rien que les choses vont aller mieux. Il faut être plus fort, plus déterminé et plus imaginatif dans la manière de développer des méthodes pour régler les problèmes. Nos hommes politiques ne sont pas tentés de détruire plutôt que de construire, de diviser plutôt que de réunir. Mais ils sont pris dans des logiques propres, dans des dynamiques parfois qu’ils regrettent eux-mêmes. C’est compliqué pour eux de gérer un pays dans un monde devenu de plus en plus complexe. Il faut les aider. Et la manière de les aider, c’est précisément de faire une partie du travail intellectuel et de coalition qu’ils ne devront plus assumer. Ne s’en remettre à eux que pour l’arbitrage final et la prise de décision.

✐ Propos recueillis par Clotilde Nyssens et Jean-Jacques Durré

Extraits de l’émission “Engagez-vous” diffusée sur RCF Bruxelles.

 

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