Hommage au RP Maurice Pilette

Le 13 octobre 2015, le RP Maurice Pilette nous a quittés à l’âge de 89 ans.

Le Père Pilette fut durant 30 années (de 1961 à 1991) titulaire au Collège Saint-Michel de la Rhétorique B. Il fut également aumônier de notre association d’Anciens (AESM) et s’occupa de la Fédération des Anciens et de la Confédération européenne des Anciens. Horizons lui rend hommage en reproduisant ici la belle interview que Philippe Stiévenart lui avait consacrée en mai 2011 dans le numéro 77 de notre revue ainsi que l’homélie prononcée par le Père Jean-Marie Faux, sj, lors de la messe de funérailles.

Qu’il repose en paix et nous garde de là haut.

Le nouvel « Horizons » a décidé de créer une rubrique « que devenez-vous ? » qui interrogera quelques professeurs de rhétorique qui ont terminé leur carrière au Collège Saint-Michel. Une façon comme une autre de renouer des liens entre anciens élèves et anciens professeurs du Collège. Pour commencer cette série, je suis donc parti à Louvain-la-Neuve rencontrer le Père Maurice Pilette, dans sa communauté de la Rue de la Houe.

Horizons : Père Pilette, un petit rappel tout d’abord ? Pendant combien d’années avez-vous enseigné à St-Michel ?
Maurice Pilette : En 1953-54, je suis adjoint du Père préfet des études (latines) ; en 1960-61, je suis titulaire d’une classe de 4ème Latin-grec ; puis de 1961 à 1991, j’ai été titulaire d’une rhétorique.

Horizons : Quel style de professeur étiez-vous ?
Maurice Pilette : Je ne veux pas répondre à ta question, Philippe. Seuls mes anciennes et anciens élèves pourraient le dire mieux que moi et surtout plus justement. Je constate seulement qu’aujourd’hui encore je demeure en contact avec beaucoup de mes rhétoricien(ne)s.

Horizons : Comment ?
Maurice Pilette : Oh ! Il y a des classes qui restent fidèles à l’organisation plus ou moins régulière de soupers de classe mais la majorité de mes contacts sont téléphoniques, épistolaires ou un repas en tête-à-tête. Je serais incomplet si je ne disais pas, qu’à leur demande, je célèbre aussi des mariages d’anciennes ou d’anciens, les baptêmes de leur enfant, des funérailles de leurs proches et – plus poignant – des funérailles de rhétos eux-mêmes.

Horizons : Où puiseriez-vous vos meilleurs souvenirs de titulaire ?
Maurice Pilette : C’est sûrement à l’occasion des voyages de rhétorique ! Moments privilégiés de vraies rencontres entre élèves et professeurs dans un cadre autre que celui du collège. Je tenais toujours à ce que mes élèves préparent et présentent eux-mêmes les sites visités. C’était pour eux le temps de l’immersion réelle dans le monde gréco-latin (les options d’études de l’époque). Et puis aussi…le lieu de quelques colères à la Pilette (sic) quand des élèves n’étaient pas à l’heure aux rendez-vous par exemple !…

Horizons : Quand vous quittez l’enseignement, que faites-vous alors ?
Maurice Pilette : Je continue et intensifie ce que je faisais déjà auparavant : l’aumônerie de l’AESM et de la Fédération francophone des collèges jésuites belges. Je serai aussi administrateur à la Confédération européenne des collèges jésuites ainsi qu’à l’Union mondiale de ces mêmes collèges. Je quitte alors toutes ces fonctions en 2007, riche d’avoir touché du doigt en de nombreux endroits du globe – Ah ! que de villes visitées !…- la tradition ignatienne dans l’enseignement. Surtout, le souci de la formation courante, le souci des marginaux et le partenariat entre jésuites et laïcs dans leurs anciens collèges.

Horizons : C’est donc pour cela que l’on retrouve votre nom dans de nombreux ouvrages collectifs sur la pédagogie des collèges jésuites belges ?
Maurice Pilette : Effectivement, ce sujet m’a toujours passionné et dès lors j‘ai collaboré à trois ouvrages :

  • Les jésuites belges 1542-1992 : 450 ans de la Compagnie de Jésus dans les provinces belges.
  • Les jésuites au Congo-Zaïre : Cent ans d’épopée.
  • Les collèges jésuites de Bruxelles. Histoire et pédagogie. (C’est le livre qu’on a appelé plus couramment le livre du Centenaire du Collège St-Michel, centenaire célébré en 2005).

Et en outre, j’ai écrit plus de 90 articles traitant surtout des politiques pédagogique et pastorale des jésuites : «Culture et Foi en partage ».

Horizons : Père Pilette, en 2006, vous publiez un autre livre d’un tout autre registre avec l’avocat Michel Graindorge ?
Maurice Pilette : Effectivement, mais cela est une toute autre histoire que celle des jésuites, de leur pédagogie et de leurs collèges… C’est le fruit de ma rencontre avec la laïcité. Un livre qui rassemble une correspondance et des dialogues entre Michel Graindorge et moi sur le cosmos, les dieux et les hommes. Il a pour titre : « Le cœur a ses raisons… ».

Horizons : Quelle est la genèse de ce livre ?
Maurice Pilette : Au sortir de ma charge de professeur, je reçois de la Compagnie une mission qui est celle du dialogue et de la rencontre avec le monde des incroyants. Je ne suis pas le seul. Avec le Père Pierre Maon – qui lui aussi venait de quitter l’enseignement du droit aux Facultés de Namur –nous nous installons dans une maison à Wavre et nous essayons de créer un lieu de dialogues et de rencontres sans parti pris entre croyants et non croyants. Cette expérience va durer dix ans. Une expérience merveilleuse d’amitié, de respect et d’échange des différences. Pierre Maon et moi-même avons vécu à Wavre, dix ans, « aux frontières » de la foi et de la non foi en vue de mieux connaître «nos frères de l’autre bord ». Echanger nos sentiments, nos interrogations, nos doutes et les leurs sur les questions que beaucoup d’hommes se posent aujourd’hui sur le pourquoi, le comment et la finalité de notre présence en ce monde.

Horizons : Et ce livre avec Maître Graindorge alors ?
Maurice Pilette : Précisons pour les lecteurs d’Horizons que Michel Graindorge – ancien élève du Collège St-François-Xavier de Verviers – est, dans les années 1980-1990, un avocat du barreau de Bruxelles célèbre pour ses prises de position et ses combats contre toute forme d’inégalité et d’injustice dans notre société. C’est un humaniste et un agnostique qui, comme il le dit, reste hanté par la figure du Christ. Notre rencontre se fit dans le cadre de Cordemois.

Horizons : Qu’est-ce que Cordemois ?
Maurice Pilette : C’est d’abord une abbaye de moniales trappistines près de Bouillon. C’est ensuite ce lieu qui servit de cadre à un séminaire qui, pendant deux ans, de 1995 à 1996, un week-end par mois, réunissait des athées, des agnostiques, des croyants, juifs, catholiques, protestants et musulmans. L’origine de ces rencontres est une lettre écrite par Michel Graindorge intitulée « Avons-nous besoin de Dieu ? » et qu’il envoya à plusieurs personnes de différentes sensibilités philosophique et religieuse. De ces entretiens de Cordemois est née entre Michel Graindorge et moi une profonde amitié qui débouchera en 2006 à ce livre qui reprend notre correspondance et notre dialogue sur les questions du sens de l’existence : la nôtre et celle du monde comme celle de Dieu.

Horizons : Et aujourd’hui ici à Louvain-la-Neuve quelles sont vos occupations ?
Maurice Pilette : Outre mes ministères pastoraux divers, je continue à lire beaucoup et à me tenir au courant de l’actualité et des questions qui m’ont toujours passionné : les liens entre la foi et la raison, entre la foi et la science ; le dialogue entre croyants et non croyants afin de mieux construire la cité terrestre et tant d’autres questions existentielles. Et puis, Philippe, n’oublie pas que je suis homme d’écriture. J’écris pour ne pas oublier. Un livre testament. Testament-plaisir d’avoir vécu ma vie et porté toutes ces questions. Eh bien, Père Pilette, vos anciens élèves et moi-même, nous attendons donc ce livre. Et merci pour cet entretien !

Philippe Stiévenart.

Le RP Jean-Marie Faux, sj, nous transmet le texte de l’homélie qu’il prononça lors de la messe de funérailles du RP Pilette. Le voici.

Homélie pour Maurice Pilette par Jean-Marie FAUX, s.j.

Ph 4, 4-9.

Jn 1,38-39.

« Maître, où demeures-tu ? ». Maurice a souhaité que cette phrase figure en exergue de l’annonce de son décès. Elle évoque bien l’élan qui a traversé et porté toute sa vie. Comme la suite de ces quelques versets : « ils demeurèrent (il demeura) auprès de lui » en disent toute la force et la fécondité. Maurice est né et a grandi dans une famille à la foi profonde. Son frère aîné Raymond l’a précédé dans la Compagnie ; il fut missionnaire en Inde et il est décédé ici même il y a quinze mois. La troisième enfant de la fratrie, Louise a aussi consacré sa vie au service du Christ et de l´Église dans la société des Auxiliaires de l’apostolat. Entré dans la Compagnie et après un cursus de formation classique, dès 1961, Maurice devient professeur de rhétorique au collège St Michel – à côté d’un autre grand professeur, Philippe Deschuyteneer qui nous a quittés il y a deux mois. Il exercera cette tâche pendant trente ans.

Pendant trente ans, il a donné le meilleur de lui-même, dans une charge professorale particulièrement décisive – le terme des humanités, l’ouverture aux études supérieures. On peut lui appliquer le verset de l’Épître aux Philippiens : « Tout ce qu’il a a de vrai, de noble, d’aimable, d’honorable, tout ce qu’il peut y avoir de bon dans la vertu et la louange humaine », voilà ce qu’infatigablement et tout simplement il a essayé d’éveiller et de communiquer à ses élèves. Tous ceux qui l’ont connu soulignent la qualité de la relation. Dans le faire-part qu’il a envoyé aux professeurs et anciens professeurs, M.de Monge l’évoque en ces termes : « Joyeux, très aimablement taquin, le P.Pilette avait l’art de se rendre proche ». Il est vite devenu et resté ami de ceux et celles qui l’ont côtoyés. Il y a certainement dans cette assemblée des personnes qui peuvent témoigner de ce don et de cette fidélité, et beaucoup plus encore parmi ceux et celles que la nouvelle de sa mort n’a pas atteints ou qui ne pouvaient être avec nous ce matin.

Dans les dernières années de son professorat, Maurice est devenu l’aumônier de l’association des Anciens Élèves de St Michel et cette responsabilité s’étendra progressivement à la Fédération francophone des collèges jésuites belges, puis à la Confédération européenne et à l’Union mondiale des mêmes collèges. Occasion de voyages et de contacts multiples. Mais aussi lieu d’un travail intense, de recherche et de réflexion autour de l’histoire des collèges et de la pédagogie jésuites. Lui-même, dans un entretien publié au soir de sa vie, résume sa recherche sur les politiques pédagogiques et pastorales des jésuites en ces termes : « Culture et foi en partage ». Une foi solidement fondée : « il demeure auprès de lui », Jésus ; une foi toujours en recherche : « Maître, où demeures-tu ? »

Cette double dimension de la vie de Maurice prend une nouvelle intensité quand, à partir de 1992, il réside avec Pierre Maon à Wavre et y crée un lieu de dialogue et de rencontre entre croyants et incroyants. Il dira lui-même de ce temps : « une expérience merveilleuse d’amitié, de respect et d’échange des différences ». Répondant à une initiative de l’avocat Maurice Graindorge, agnostique, comme il le dit de lui-même, « hanté par la figure du Christ », des personnes de toutes croyances et convictions philosophiques se sont rencontrées pendant plus de deux ans, une fois par mois, dans le monastère de moniales trappistines de Cordemois. Maurice a participé activement à ces rencontres ; dix ans plus tard, M.Graindorge reprend contact avec lui et pendant un an, ils échangent très amicalement une correspondance qui fera l’objet d’un petit live publié en 2006 sous le titre « Le cœur a ses raisons… ». Avec le sous-titre : « correspondance et dialogue sur le cosmos, les dieux et les hommes ». On pourrait dire que l’interrogation fondamentale : « Maître, où demeures-tu ? «  repart de plus belle. Dans ce livre d’échange, on découvre un Maurice ouvert à toute recherche, opposé à tout repliement identitaire mais en même temps rayonnant d’une indéfectible espérance. Dans la dernière de ses réponses, il s’essaie à définir sa vision du monde et de la vie en disant ce qu’il réprouve : et c’est avant tout, « une vision pessimiste de l’homme et de son destin », il énumère toutes les formes, tous les ‘ismes’ dont cette vision peut s’affubler. Et il appelle l’Église à « réconcilier les recherches présentes – religieuses, profanes et scientifiques – qui sont toutes fruits de nos cultures en expansion avec les données de la foi, de la révélation et de la tradition ».

Après quelques années à Louvain-la-Neuve, Maurice a rejoint notre communauté Saint Claude la Colombière, en juin de l’année dernière, au moment où son frère Raymond nous a quittés. Son état de santé était déjà très détérioré et il n’a cessé de décliner ; la communication était difficile. Mais ce silence était éclairé par son sourire qui restait si bon et fraternel et, de temps en temps, par une réponse brève mais directe qui témoignait de sa foi profonde.

« Maître, où demeures-tu ? ». Aujourd’hui, Jésus lui répond : « Viens et vois. » Dans la confiance et l’affection, nous le remettons à son Seigneur: « Aujourd’hui il voit et il demeure pour toujours avec son Seigneur ».

PILETTE

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