Quelques souvenirs de Pierre de Boeck

Préambule : Pierre de Boeck (Ads 1944) est décédé le 21 décembre 2024. Entre 2018 et 2022, il a rédigé quelques souvenirs de son passage au Collège St-Michel auquel il était très attaché. Nous remercions son épouse et sa fille Anne – qui a édité les souvenirs de son père – d’avoir envoyé à l’AESM quelques souvenirs de Pierre.
Le Collège
Après ma 3ème primaire, j’avais rejoint la 8ème préparatoire aux humanités du secondaire, au Collège Saint Michel dirigé par les membres de la Compagnie de Jésus, ou plus communément les Jésuites. Dès le premier jour, abandonné à l’entrée de la cour dite ‘des externes’ qui m’avait semblé immense, perdu au milieu de tous ces garçons inconnus dont l’âge et la taille dépassaient de beaucoup ceux de mes ex-compagnons de l’école des Frères, je ne me sentais pas rassuré. Heureusement cela s’arrangea lorsque j’aperçus un de ceux-ci qui apparemment partageait les mêmes inquiétudes que les miennes.
Comme le collège n’était situé qu’à 1550 mètres de chez nous, avec mon frère Michel qui m’avait rejoint, nous retournions déjeuner à la maison, ensemble à l’aller, avec un compagnon ou l’autre au retour, sous le soleil ou sous la pluie, bavardant, échangeant émotions et connaissances. Après avoir parcouru cet itinéraire pendant quelques années à raison de plus de mille kilomètres par an, nous avions mémorisé quasiment toutes les façades des maisons sur notre parcours.

1941-42 Collège St Michel – Poésie, Père Macaux – Pierre de Boeck à la dr du Père M.
Chaque année, les élèves des classes préparatoires présentaient un spectacle théâtral à l’occasion duquel j’avais dansé un menuet ! Maquillé de rouge à lèvres pour les nécessités de la mise en scène, j’étais tellement inquiet à l’idée que celui-ci ne disparaisse jamais que je n’avais pas fermé la bouche pendant toute la représentation ! Mon frère Michel qui l’année suivante représentait le Christ dans je ne sais plus quel drame mystique, un rôle où il n’avait rien à dire, se contentait de bondir sur la croix à chaque entrée en scène !
Quelques années plus tard, Michel avait été promu ‘clocheur’, comme l’appelait mon père. Une charge de confiance qui lui octroyait la permission de sortir de la classe avant tout le monde pour sonner un grand coup de cloche, annonçant l’heure précise de la fin des classes à tout le collège. Je ne sais pourquoi ce privilège lui avait été attribué, si ce n’est qu’il était le neveu de deux pères Jésuites.
Au collège, le sport ne m’a jamais attiré et en été, l’eau saumâtre de la piscine située dans le jardin, à l’arrière des cours de récréation, ne m’a pas tenté plus d’une demi-douzaine de fois. Par contre, les compétitions d’athlétisme, baptisées ‘Jeux de Saint-Louis’ (en référence au jeune Jésuite Louis de Gonzague, non au roi de France), attiraient les sportifs en herbe et nous procuraient une excellente distraction au début des vacances. Je m’y suis particulièrement distingué en saut en hauteur où mes meilleures performances atteignaient 1m15!
Le règlement du collège exigeait que nous allions tous les jours à la messe, soit au collège à 8h30, soit dans la paroisse de notre choix dont il fallait mentionner le lieu et l’heure aux pères. De temps en temps, certains d’entre eux faisaient à bicyclette le tour des paroisses avoisinantes pour vérifier la présence de leurs élèves. Les messes matinales heureusement ne duraient pas plus d’une vingtaine de minutes au terme desquelles il fallait se dépêcher d’arriver au collège, car le surveillant surnommé Mistinguet, fermait la porte à neuf heures pile! Après quoi il fallait passer par le bureau du préfet de discipline, le redoutable et redouté Père Brunin, justifier son retard et obtenir un ‘admittatur’ à déposer sur le bureau du professeur en entrant en classe. Plusieurs retards consécutifs conduisaient à deux heures de retenue dans une salle du collège l’après-midi d’un jour de congé. Papa s’intéressait à nos résultats scolaires et veillait à ce que nos devoirs soient faits correctement.
Lorsque je n’en sortais pas dans une version latine, je ne m’en inquiétais pas trop, comptant sur lui pour me donner les explications nécessaires lorsqu’il rentrait du bureau. Bons nombres de nos professeurs étaient affublés de surnoms : le Père Fraikin, dit Moutarde, un verviétois à l’accent prononcé et le visage grimaçant ; un autre professeur laïque et de petite taille avait reçu le qualificatif de ‘Courtes-fesses’. En troisième Latines, dans la classe du Père Debeys, dit Pipette, un ami et moi avions préparé sans trop y croire un texte qui, dans un recueil d’auteurs latins acheté d’occasion à un ancien élève du collège, était annoté comme celui du concours de version latine d’une précédente année. Nous fûmes surpris de recevoir ce texte pour notre examen, mais nous commîmes l’erreur de nous échanger un signe de complicité. Pipette s’en aperçut, estima que nous avions triché et nous sanctionna d’une carte verte. Pour rétablir l’égalité avec le reste de la classe, il nous obligea à recommencer notre examen avec un autre texte… pour lequel nous reçûmes à peu près les mêmes points! Mon père estima que nous avions bénéficié d’un ‘tuyau’ par nature non répréhensible. Mais la discipline jésuite avait triomphé. Pipette était sévère avec ses élèves qui le respectaient car nous étions conscients qu’il se consacrait à fond à notre éducation.
En deuxième Latines, appelée alors la classe de ‘Poésie’ dont le titulaire était le Père Macaux, j’ai rejoint la troupe scoute du collège Saint-Michel. Je m’étais d’abord inscrit à la troupe de la paroisse, le Divin Sauveur, dont le chef était Arthur Gilson, ancien scout de Saint-Michel et futur ministre de la Défense Nationale. Ce faisant, je contrevenais inconsciemment au règlement du collège qui soumettait à autorisation préalable toute participation à une organisation extérieure. L’ayant appris, le préfet de discipline m’avait convoqué et posé un ultimatum : soit j’intégrais la troupe du collège, soit je quittais le collège ! Mon père avait trouvé ce choix sévère. J’avais donc renoncé aux scouts de la paroisse pour intégrer la troupe du collège. Bel exemple de discipline jésuite, pas toujours librement consentie ! En classe de rhétorique, mon professeur était le Père Garin qui, une génération plus tôt, avait été le professeur de mon père. Son enseignement n’avait pas beaucoup évolué entre ces deux générations. Un jour, faisant référence à la femme de Cicéron qui, par jalousie, avait percé d’une épingle la langue de son mari qui venait d’être assassiné, le père Garin nous avait prévenus : ‘Mes amis, n’épousez jamais une femme bête !’ Sage conseil de Jésuite quand même ! Et que je n’ai jamais oublié !
La troupe scoute et les débuts du show vélo
Par deux fois nous avons dressé nos tentes à Roumont dans la propriété des parents d’Evence Coppée qui était alors scout de la première troupe des Ardents de Saint Michel. Endroit idéal pour construire notre camp et le soir, rassemblés autour d’un grand feu, terminer notre journée par le cantique des patrouilles.

1942 Scouts de St-Michel Pyramide velo – Pierre en bas à g, Michel tt en haut 2.
Les feux de camps étaient l’occasion idéale pour les jeunes scouts de prononcer leur promesse de fidélité à la loi scoute devant la troupe réunie. Cet engagement avait été préparé depuis plusieurs mois, suivis d’un entretien avec le chef de troupe pour s’assurer de la maturité des convictions et de la compréhension des candidats concernant les articles de la loi scoute et du sens de cet engagement. La cérémonie de la promesse se terminait par l’attribution du totem par l’ensemble de la troupe. Le nom de ‘Biche’ qui me fut proposé ne me plaisait pas fort et je ne l’ai accepté qu’avec réticence, bien qu’il fût pourtant celui d’un bel animal. A vrai dire je n’ai jamais apprécié l’usage des totems !
Jacques Marchandise succéda comme chef de troupe au départ de Philippe le Hodey. Très dynamique et plein d’initiatives, il avait organisé en dehors des réunions habituelles, une activité pour occuper les scouts de la troupe, en réunissant ceux des scouts qui se sentaient capables de réaliser à vélo des exercices d’équilibre et d’acrobatie inspirés des cavaliers de cirque. Regroupés sous l’appellation de ‘Dragons’, nos vélos portaient un fanion violet orné de la silhouette d’un dragon noir. Mon frère Michel et moi étions très fiers de porter cet insigne et de participer à l’exercice vedette de nos démonstrations publiques : l’impressionnante pyramide de dix-sept participants, moi à la base pédalant sur ma monture à deux roues, Michel à l’étage supérieur auquel il accédait à son tour par une périlleuse escalade, sous les applaudissements de nos admirateurs !