Nous sommes tous des chochottes
Bret Easton Ellis est sans doute l’écrivain qui a le mieux dépeint la génération précédant la mienne – celle qu’on appelait la Génération X (les Occidentaux nés entre 1960 et 1981). Je me suis souvent demandé comment ma génération – la « Y » – pourrait être correctement décrite.
Et c’est peut-être encore lui, Bret Easton Ellis, qui a le mieux compris la jeunesse actuelle. Le portrait est cinglant.
Lisez plutôt son opinion parue dans le Vanity Fair français du mois de septembre 2014 dans laquelle il nous qualifie de « Génération Chochotte ». Mais encore : nous serions une génération « qui réagit en sombrant dans la sentimentalité et en créant des récits de victimes au lieu de connaître les réalités du monde, de les affronter, de les digérer pour aller de l’avant, mal préparée à se débrouiller dans un monde souvent hostile ou indifférent qui se moque que vous existiez ou pas ». L’auteur d’ « American Psycho » et de « Moins que zéro » nous reproche également notre « hypersensibilité », notre « volonté insistante d’avoir toujours raison surtout quand on a tort », notre « incapacité à remettre les choses dans leur contexte », nos « réactions disproportionnées », etc., etc.
Bien sûr, certains ne se reconnaîtront pas dans cette description forcément caricaturale – ou ne le voudront pas – mais force est de constater qu’un grand nombre de points soulevés par Ellis se révèlent d’une criante vérité.
La dictature du « Like »
L’élément le plus symptomatique, celui qui caractérise le plus notre époque, c’est bien évidemment cette insupportable omniprésence des réseaux sociaux. Nous avons tous grandi avec Facebook et sans même nous en rendre compte il a intégré nos vies et a façonné nos comportements. Le constat de Bret Easton Ellis à cet égard est sans appel : « L’angoisse et le besoin définissent la Génération Chochotte, et quand on n’a pas l’agréable perspective de pouvoir s’élever économiquement dans le monde, alors on fait quoi ? Eh bien on assure sa présence sur les réseaux sociaux : on s’incruste, on peaufine sa marque de fabrique, on se bat pour être aimé, pour être aimé, pour être aimé… ».
Ellis ajoute à juste titre comme la critique est devenue prohibée sur les réseaux sociaux (signe le plus évident : on ne peut que « liker » sur Facebook), à quel point nous nous félicitons d’accumuler les « j’aime » et sommes scandalisés lorsque quelqu’un ose une opinion à la marge. La pensée dominante est vraiment devenue un fléau de ma génération : un avis de travers et c’est le suicide social garanti.
On croyait avoir atteint les sommets mais voilà que Tinder est entré en jeu et a poussé la logique encore plus loin dans un domaine qui était jusque ici relativement préservé : l’amour. Aujourd’hui nous n’avons même plus le courage de prendre des risques ; c’est pourquoi des merveilleux algorithmes, de plus en plus performants, de plus en plus précis, sont désormais capables de nous dévoiler l’âme sœur avec une marge d’erreur limitée.
Autre exemple : la mode du selfie. Sous ces dehors anecdotiques, cette tendance montre combien le narcissisme a dépassé toutes les limites. Désormais, nous nous mettons en scène, prenons des poses en singeant des moues et cliquons à bout de bras, comme si ces clichés étaient censés intéresser la terre entière.
Sans doute, suis-je un vieux con cynique qui exagère et ferais-je mieux d’aller boire une bière pour me détendre. Mais laissez-moi vous dire mon sentiment : si tout cela continue, on restera dans les annales de l’histoire comme la génération la plus vide, la plus superficielle et la plus stupide qui ait jamais existé.